0–1‑infini

L’or­di­na­teur, tou­jours le choix absolu. L’hu­main, tou­jours le choix relatif. 

Anthropophagie

Le devenir de l’hu­man­ité occi­den­tale est à l’autoconsommation.

Triche

Regarde dans l’autre direc­tion!” Le prob­lème ne dis­paraî­tra pas.

Larrons

Jonc­tion entre les pétroliers et les écol­o­gistes, tous deux enlaidis­sent les paysages pour en faire du combustible. 

Sur la montagne

For­mi­da­ble Chochil ce dimanche. Tout le vil­lage est dans les rues. Con­cert de Klax­ons, orchestres, jon­gleurs, marchands de glace, de cac­a­houètes, de mangues, clowns et familles en habits et au-dessus des toits les fumées des broches à poulets, fours à pain, braseros de porc, gril­lades de chori­zo. Comme il se doit, après le goûter, tout ce monde reprend la route en direc­tion de Bogo­ta et notre bus reste blo­qué deux heures dans un embouteil­lage qui ser­pente sur les val­lons, tombe la nuit, ce dont se félicite LM car je pour­rai pho­togra­phi­er les lumières de la ville. Déposés en périphérie, LM me presse de marcher sans regarder alen­tour. Sor­tis de la zone de dan­ger, nous butons sur un bar­rage de police. Dans un square silen­cieux se tient un man­i­fes­ta­tion sans man­i­fes­tants (ils sont ren­trés se couch­er). Nous tra­ver­sons l’an­ci­enne Bogo­ta, celle des Espag­nols, comme ferait des chats aux heures gris­es, car nous sommes absol­u­ment seuls et nulle part il n’y a trace de vie, et soudain, à croire qu’un éclairag­iste vient de déclencher ses feux, tout est illu­miné et des mil­liers de per­son­nes sont dans la rue à boire, fumer, danser, hurler, c’est la place Boli­var, lieu de fon­da­tion de la ville (pre­mières pier­res d’ El Dorado).

Sustenter

Au petit-déje­uner que nous prenons dans un marché cou­vert du quarti­er, LM com­mande un choco­lat chaud, une soupe de pois­son (caldito) et un Coca-Cola. Je me con­cen­tre sur les œufs et le café (tin­to). Les tacos sont ici des arepas, grosse galettes molles et farineuses. Indi­gestes au pos­si­ble. Le reste du jour: avo­cat (gros comme des mel­ons) et litres de Club Colombia.

Páramo

“Et se couper les cheveux?” Sim­ple sug­ges­tion. LM trou­ve l’idée excel­lente. Juste­ment, nous sommes à La Calera, au-dessus de Bogo­ta, au-delà du páramo, cette végé­ta­tion d’un vert lux­u­ri­ant qui tapisse les lèvres du vol­can et dis­tribue l’eau de rosée vers la plaine, et il y a au vil­lage une rue des coif­feurs. Au ciseau une femme fraîche­ment battue, d’abord aphone, puis peu à peu, mise à l’aise par le babil inces­sant de LM, ragail­lardie. Elle coupe la moitié de ce que LM a sur la tête et il en reste: c’est dire. J’en prof­ite, mais pour moi ce sera juste les rou­fla­que­ttes et le con­tour des oreilles (il n’y a d’ailleurs pas grand chose de plus). De retour sur la place du vil­lage où nous man­geons de la panse de cochon au riz, je vois que si la dame a bien réus­si LM (cheveux colom­bi­ens) elle a mal réus­si ma tête (cheveux étrangers), prob­a­ble­ment faute d’os­er. Puis nous mon­tons (dans ce pays on ne fait que mon­ter) saluer un ami de LM écrivain-jour­nal­iste-homme de télévi­sion. Il nous reçoit dans une mai­son indi­vidu­elle con­stru­ite, comme tout ce que je vois depuis mon arrivée, avec des bouts de ficelle mais qui a l’a­van­tage d’of­frir une vue splen­dide sur des pâturages dignes de la Glâne fri­bour­geoise (ne s’y étant pas trompés des Suiss­es ont instal­lé des fer­mes dans la région) et nous emmène dans un courette où jouent un chien pataud et la fille de la bonne. Pen­dant que LM et l’hôte échangent un flux de paroles dont je ne sai­sis pas un mot, la gamine shoote le bal­lon et ren­verse encore et encore l’écuelle d’eau du chien. Plus étrange, l’hôte, sans arrêter la con­ver­sa­tion, assène de temps à autre des coups de pieds du type “low-kick” à un punch­ing-ball sus­pendu en tra­vers de la courette.

Bois brûlé

Marché de Palo­que­mao. Posé sur un ter­rain vague que rav­i­tail­lent les camions, l’éd­i­fice munic­i­pal est bas, gris et som­bre. A l’in­térieur toutes les var­iétés d’al­i­ments et d’odeurs, et nom­bre d’in­con­nues. Des stands d’herbe et d’épices que l’on rêverait d’avoir en Europe. Pen­dant un bon quart d’heure, je vais der­rière LM, peinant à suiv­re son babil tant en rai­son du brouha­ha que de sa marche rapi­de, mais voilà qu’il doit s’ar­rêter, pren­dre appui, s’asseoir. Il est pris de ver­tiges. Quand il repart, il explique que la semaine précé­dente il est mon­té en téléphérique à Montser­rate avec des amis, a fait un malaise, ne s’est pas encore remis. Il ne devrait pas fumer, il fume. Il ne devrait pas se droguer, il se drogue. Deux fois opéré à coeur ouvert, mais ça va mieux. Grace à l’ail, au jus de corian­dre, au gouttes de Dra­go. Tout en par­lant de ses faib­less­es, il nomme les légumes, les fro­mages, les herbes, les var­iétés d’av­o­cats. Je veux acheter un manche muni d’une tête de cheval (pour m’en servir comme bâton d’en­traîne­ment après décap­i­ta­tion), il me retient: “que vas-tu dépenser, je te don­nerai une morceau de bal­ai à la mai­son!”. Et la vis­ite reprend. Nous repas­sons devant les mêmes stands, seul le chemin est dif­férent. J’ai beau dire ce que j’aimerais acheter, par exem­ple ces avo­cats, il file droit devant, direc­tion les char­cu­ter­ies, les cordages, les pois­sons. Là il com­mande une tête et des queues de mer­lu (le soir il les mets à bouil­lir pour en faire une gelée qu’il con­di­tion­nera deux jours plus tars en cubes avant de les ranger au con­géla­teur — pour le cœur). Et nous n’avons tou­jours rien acheter. Puis je com­prends: il attend que je me décide et que je paie. De retour dans son apparte­ment avec fruits secs, salade, bro­coli, avo­cats et patates, je vois qu’il n’y a nulle part dans la cui­sine où pos­er ces com­mis­sions, que la cui­sine est dans un état lam­en­ta­ble, à net­toy­er au lance-flamme. Dépité je pose nos com­mis­sions sur le canapé du salon. Et remar­que alors un autre sachet, du même genre: il con­tient les légumes achetés une fois précé­dente, légumes en état avancé de décomposition.

Bogota 3

Politesse de LM tour­nant à l’ob­séquiosité, comme si une adresse d’une voix neu­tre pou­vait déclencher des foudres.

Bogota 2

Grat­te-ciels entés sur le fond vol­canique, sans souci d’ur­ban­isme ni le moin­dre cal­cul esthé­tique. Effet angoissant.