Photos

Mon voisin Mon­taño qui vit depuis sept ans de l’autre côté de la rue (elle est étroite) a démé­nagé jeu­di dernier. Il revient de matin pour la séance de pho­togra­phies des­tinées au manuel d’au­todéfense. Depuis trois mois, je me bats pour obtenir deux fig­u­rants. Que n’ai-je pas ten­té? J’ai cou­ru les salles de sport avec Gala (allez savoir ce que les gens imag­i­nent quand vous pronon­cer les mots “cou­ple” et “pho­tos”!) puis seul, j’ai sol­lic­ité la pro­fesseur de Pilates et une habi­tante au vil­lage, j’en ai par­lé à l’épicerie et à l’av­o­cat. Tous peu­vent et voudraient, pour­ront peut-être, fer­ont savoir, skient, tra­vail­lent, dis­parais­sent, s’ex­cusent. Pour­tant je paie, je paie bien. En décem­bre, j’é­tais opti­miste. Aujour­d’hui, je préfère dire naïf : je m’en rends compte après dix semaines de recherch­es. A Pâques, n’y com­prenant plus rien, je suis allé m’asseoir sur la grande place de Puente et j’ai regardé pass­er chaque pié­ton. Eh bien ils faut croire que les qual­ités req­ui­s­es sont rares: en plus d’une heure, je n’ai pas trou­vé de garçon et de fille à la fois mince et et sportif, ni trop jeune ni trop vieux, et pas laid, pas bedonnant, pas bou­ton­neux, pas avachi. Ce matin, enfin le compte est bon: à dix heures débar­quent à Agrabuey la sœur du car­rossier Manuel et son ami. Peu après Mon­taño règle ses objec­tifs, la séance com­mence. Cinq cent clichés avec mis­es en sit­u­a­tion. Dans le fron­ton, devant les pan­neaux expli­cat­ifs, je déplace la table, les chais­es, indique les pos­es et les défens­es, met en main le bâton, le couteau, la torche. Six heures plus tard, je mange des pâtes et je me couche épuisé. On frappe à la porte. C’est Evola. Trente jours après les pre­mières inon­da­tions, le niveau du Gal­lego a enfin bais­sé, il a pu franchir le pas­sage à gué et quit­té Piedral­ma: il a faim, il a soif, il n’a plus de tabac. 

Madrid (fin)

Les enfants ont repris l’avion, je suis ren­tré à Agrabuey. Cinq cent kilo­mètres de musique à tra­vers l’Es­pagne déserte, le bruit de la fontaine dans la rue. 

Artificielle

L’IA n’est pas per­son­nelle. Elle n’est pas neu­tre. Elle est inten­tion­nelle, elle paraît neutre.

Coach

Une élève irlandaise du camp de boxe thaïe de Chumphon — cela me revient aujour­d’hui — n’a cessé de tra­vailler pen­dant les trois semaines du pro­gramme d’en­traîne­ment. Sur les ban­quettes cahotantes des pick-ups qui nous con­dui­saient au gym­nase, lors des ses­sions de nage, de course ou de pom­pes, lâchait-elle ses gants ou sa corde, aus­sitôt elle tapait sur son clavier d’or­di­na­teur. Mais pour taper quoi? “Des rap­ports, me dit-elle, je tape des rap­ports! En tant que coach, je ne peux pren­dre des vacances que si je travaille”. 

Madrid 5

Marcher sans but. Des heures. Avoir soif. Chercher un bar. En trou­ver un. En trou­ver un sec­ond. En trou­ver des dizaines. Ne pas s’ar­rêter, con­tin­uer de marcher. Je ne con­nais pas de meilleure pra­tique. A la lim­ite de la ville, c’est tou­jours la ville. Les mon­u­ments ser­vent de repère, ils don­nent leur noms aux quartiers, mais avant et après un mon­u­ment, une fontaine, un parc, Madrid ressem­ble à Madrid, une ville immense qui répète ses bâti­ments, ses bars, ses ter­rass­es et partout ce sont les mêmes espag­nols qui ont par­tie liée avec l’infini.

Madrid 3

Il y a deux ans, Luv fai­sait son école de graphisme au cen­tre-ville. Enfant, je pas­sais mes con­gés d’é­cole à déam­buler entre Mon­cloa et la Place d’Es­pagne. Cha­cun mon­tre à l’autre des rues, des quartiers, des bâti­ments. Mais Mon­père est le plus drôle. Comme nous cher­chons où manger un menu, il dit de le suiv­re. Sur place, il con­state: “il y avait un bon restau­rant ici. Evidem­ment, cela fait un cer­tain temps…”. Oui, c’é­tait en 1975.

Madrid 2

Hôtel d’ar­chi­tec­ture fran­quiste dans le quarti­er de Cham­berí. Com­mode, tiède, calme. Comme dit Mafille: “juste après, c’est l’Amérique. En effet, passé Cua­tro Caminos la pop­u­la­tion brunit, zéza­ye, mange des tacos et du riz. Quant à Mon­père (qui vivait dans la cap­i­tale en 1975), il cause avec un vieux gar­di­en d’im­meu­ble et racon­te : “lui et moi nous sou­venons qu’i­ci com­mençaient les champs”.

Madrid

Pas fer­mé l’œil de la nuit. Ain­si en va-t-il des change­ments de régime. La fatigue vous rat­trape, elle vous empêche. A six heures, je prends la route pout Madrid. Les enfants arriveront en avion, de Genève. Il sont trois, car les accom­pa­gne l’amie d’Ap­lo. Crainte d’être arrêté par la Garde civile, Mon­frère ayant dénon­cé mes plaques, mais non, c’est le désert, le soleil, la plaine immense. Et soudain la cap­i­tale, toni­tru­ante, dure, emmêlée. L’or­di­na­teur de bord me guide jusque dans un ter­rain vague où j’ai loué par inter­net une place “à long terme”. Un Roumain assisté d’un Chilien assisté d’un Ukrainien, me font gar­er, encais­sent et me con­duisent au Ter­mi­nal 1. Une minute plus tard, les enfants sur­gis­sent de la porte des arrivées: je ne les ai pas vus depuis septembre. 

Printemps 2

Au cour­ri­er les Droits d’au­teur d’Al­lia pour easy­Jet, Forde­troit et H+ pour l’an­née 2023. Au prix cor­rigé du litre de diesel, ils me per­me­t­traient de rouler 800 mètres avec mon van — j’ai touché CHF 2,50.-.

Printemps

Derniers jours d’un long tra­vail d’écri­t­ure. L’ar­bre est élagué, j’ai coupé l’herbe. Il pleut. Au jardin, il reste 800 kg de bois, j’ai en cave un demi-plein de mazout. Ce matin, pas besoin de pren­dre place à table, de pour­suiv­re ou de repren­dre l’es­sai (G&G). Il repose. Un café, une bière, des noix, je lis un peu sur les désor­dres du monde. Der­rière les Pyrénées, la France s’ef­fon­dre. Ici, le silence règne. Les oiseaux sont revenus. Je les écoute. J’é­coute Slim­Lord, Tod Rund­gren et Still Cor­ners, je cui­sine de la viande. La viande est de plus en plus mau­vaise. Les crus­tacés, c’est pire. Ils arrivent en avion. Je m’en­t­hou­si­asme pour les légumes et le vin. Ils ont l’odeur de la terre locale. En fin de journée, arrive par mail un ques­tion­naire. Une revue s’in­téresse à mon théâtre. Est-ce que je me sou­viens encore d’en avoir écrit? Je réponds avec cour­toisie et con­ci­sion. Le lende­main, le rédac­teur de cette Let­tre du théâtre romand demande : “vous ne voudriez pas en dire un peu plus, que l’on sache qui vous êtes?”.