Dans la douche, j’ai des flacons de savon. Pour que le liquide s’écoule sans attendre, je les dispose sur le bouchon. Hier je m’amusais à déchiffrer l’étiquette de l’un de ces flacons retournés. Lire un mot à l’envers souligne le rôle de la projection dans l’acte de lecture. Il consiste dans un va-et-vient entre l’hypothèse et la suite des lettres suivie d’autant de corrections que nécessaire. Rien de bien savant quand il s’agit de l’étiquette d’un flacon de savon liquide. Pourtant au bout de trois essais je n’avais pas trouvé. Pour cause, j’achète ces produits lorsque j’en ai le besoin et souvent je suis à l’étranger. Ici, je faisais une hypothèse en espagnol quand l’étiquette était libellée en allemand. En espagnol “NEUE” (à l’envers) ne favorise pas l’intuition. N’en va-t-il pas de même pour les paysages dans lesquels s’inscrivent les corps? L’habitude de produire son existence en relation avec une nature, ses qualités et rythmes propres, la société qui la civilise, les caractères qui s’y rencontrent, ajuste par hypothèse les attentes. A l’étranger, notre expectative est fausse dans toute la période qui précède l’ajustement. Et cette période plus ou moins longue (selon le degré d’étrangeté de l’objet) est nécessaire. Ce que Suisse désormais étranger à la Suisse j’espère trouver dans ce paysage de lacs tracé au cordeau, verni et bien réglé, ne s’y trouve pas. L’environnement ici ne parle pas ma langue. Muet, clos, il me renvoie à mon hypothèse dont je vois qu’elle est inutile pour déchiffrer — sauf à faciliter la critique par différence avec l’attente ou à condamner à une contemplation du type “das ist” (et nous voici revenus à la “carte postale).