Voyage

Trois fois Tol­do a changé le pro­gramme. Ce soir, il le change encore. Sor­ti d’une can­ti­na où j’ai dîné, je reçois un mes­sage : « nous par­tons demain matin, où es-tu? ». Son chauf­feur me prend à l’hô­tel Rev­olu­ción à 5h30. Nous roulons dans la nuit. En haut de Refor­ma, nous dépas­sons trente, cinquante, cent cyclistes. Un club pédale der­rière sa voiture-bal­ai. Le traf­ic est énorme, la pol­lu­tion ter­ri­ble. A l’ob­scu­rité s’a­joute l’ob­scu­rité. Quand nous bifurquons vers le quarti­er rési­den­tiel de Bosque de Lomas, d’autres cyclistes. Ceux-là grimpent les pentes aiguë des collines du Bosque. Le quarti­er est fait de boss­es. Bâties au-dessus des val­lons, les vil­las ne sont acces­si­bles que par une de leurs façades. Les plus tech­niques ont des ascenseurs sur la face aveu­gle. Mais le plus éton­nant demeure l’am­biance. Les arbres qui déploient leur frondaisons sur les toi­tures fer­ment le ciel au-dessus de ce quarti­er-écrin. C’est là que vit Tol­do. Il descend d’une mai­son ver­ti­cale, sort par une porte basse, s’en­gouf­fre dans la voiture. Le chauf­feur démarre. Une heure plus tard, nous embar­quons à l’aéro­port de Tolu­ca dans un avion de l’Aero bus. Vol rapi­de pour la cap­i­tale du Yucatán, Méri­da. Là Tol­do s’ha­bille et part pour son bureau. Comme il part en voiture, j’en prof­ite. Quarti­er des hôtels inter­na­tionaux. « C’est là que nous sommes. », dit-il en désig­nant au loin une tour de verre et de métal. Et ses jardins-fontaines, ses restau­rants d’e­s­planade, ses polices privées, sa flotte de véhicules. Grosse enseigne au nom de Tol­do en haut de la tour. Je sif­fle d’ad­mi­ra­tion. « Oh, nous n’avons que sept étages », dit Tol­do. Nous prenons l’as­censeur. Au sep­tième, Tol­do ouvre la porte d’un bureau. Appa­raît Gon­za­lo. La dernière fois que je l’ai vu, c’é­tait sur les bancs du lycée français de Mex­i­co, nous avions 18 ans. « Tu ne m’as pas dit que Gon­za­lo serait là ! », fais-je observ­er plus tard. Tol­do : « je ne le savais pas ». ‑Mais il tra­vaille bien pour toi. “Oui, bien sûr… par­mi quelques mil­liers d’autres”. Puis : « je vais dire à un chauf­feur de te don­ner une moto et tu peux retourn­er chez moi ». Me voici à rouler dans le plan en quadrillage de Méri­da. J’aboutis dans une mai­son-vil­la. Étroite comme un couloir, elle est longue comme le kilo­mètre. Du vestibule à la piscine, tout s’aligne : salle de bains, salon, cui­sine, ter­rasse. C’est la mai­son qu’a fait rénover Tol­do près du cen­tre his­torique. A deux heures, retour au pied de la tour. Nous avons ren­dez-vous pour aller dîn­er. J’at­tends dans la cour avec les concierges, les gar­di­ens et les fontaines. Enfin, l’as­censeur s’ou­vre. Tol­do, un employé, Gon­za­lo. Mais ce dernier repart pour Mex­i­co. Il s’ex­cuse : une affaire vient de tomber. Nous allons au restau­rant à pied (les déplace­ments à pied sont rares). Il fait chaud. Il fait très chaud. Offre de pois­sons fins au milieu de tablées de femmes sur­maquil­lées et de Messieurs en san­té. Major­domes et serveurs, luxe et réserve. Tous: “Mon­sieur Tol­do, par ici je vous prie!”. A notre table attend l’un des gourous de Tol­do – il nous accom­pa­g­n­era pen­dant qua­tre jours. Cheveux gris, fig­ure émaciée, cato­gan, yogi, il a qua­tre-vingt-huit ans. Il est pein­tre. Et sym­pa­thique. Au milieu des tables du restau­rant occupées par ces cou­ples argen­tés, il mon­tre des feuilles qu’il a cueil­lies sur un arbre sacré avant de les met­tre à séch­er. Des feuilles géantes. Du type nénuphars. Il explique la tech­nique de vernissage, passe les feuilles par-dessus nos assi­ettes. Nous dînons de poulpe, de « ceviche », de « gua­camole ». Après quoi je ren­tre dormir. Puis je cherche de la bière. Je n’au­rai pas le temps de la boire : nous repar­tons. Cette fois, Tol­do prend le volant. Nous quit­tons Méri­da. La route trace à tra­vers une jun­gle d’ar­bustes pous­siéreux. Partout le long de la voie des travaux. Les femmes agi­tent des fan­ions rouges, des encagoulés aplanis­sent un bitume fumant. Descen­dus de voiture, dans la nuit, nulle part, Tol­do tend les clefs au gar­di­en qui a ouvert le por­tail de l’ha­cien­da Sham­bal­ante. Le gar­di­en les empoche et nous remet trois bâtons. Juan, le pein­tre yogi, part devant, Tol­do ferme la marche. Nous chemi­nons sur une sente mar­quée de pierre. Elle ser­pente. Elle aboutit sur une place cir­cu­laire entourée de hauts murs.

« Tu prends terre, eau, feu ou air ? », demande Toldo.

Il me remet un bâton, je m’en­fonce dans le labyrinthe.