Panajachel

Hébergé par un Russe sibérien qui a vécu dans les monastères nord-thaï­landais. Grand, bar­bu, fort, mou, dirais-je. Expert en redresse­ment de “guest­hous­es”. Ges­tion des réser­va­tions, des horaires, du linge et de la pub­lic­ité, con­fit de pro­jets mais dans le temps de son con­trat, en général de courte durée, entre une semaine et deux mois. Après quoi, salaire en poche, il reprend la route. Vingt-qua­tre ans qu’il a quit­té Novosi­birsk. Ce matin, il a fait des crêpes.

-Bre­tonnes?

-Russ­es.

Nous buvons le café au milieu des arbustes en fleurs et des avo­catiers (fort vent cette nuit qui a décroché nom­bre d’av­o­cats, prob­lème de ges­tion du jardin), puis je me rends sur les ponts d’embarquement de Pana­jachel. Le Russe m’a recom­mandé San Mar­cos, un débar­cadère de la rive droite qui mène à un belvédère d’où la vue sur la lac d’Ati­t­lan, dit-il, est épous­tou­flante. Aupar­a­vant, on chem­ine dans une ruelle ombragée par la végé­ta­tion. Le bateau-bus vole sur les vagues (le lac est déchaîné), le voyageurs bondis­sent sur les bancs plats, cri­ent et rient et tapent des fess­es. Un cou­ple de touriste proteste. Il sort à la pre­mière occa­sion. Per­son­ne ne com­prend. Le bateau repart. Voici San Mar­cos. Au moment de pos­er pied sur le pon­ton, je fais à l’aide- nav­i­gant qui déjà retire l’a­marre : “il y a quelque chose der­rière?”. Ce que je vois n’est pas ras­sur­ant : une pein­ture à l’ef­figie de Bob Mar­ley et sur la hau­teur une négresse qui se tré­mousse en chaus­settes de laine. Je salue les policiers qui gar­dent le port de bois et m’en­gouf­fre dans la ruelle. Si j’é­tends les bras, je touche les maison­nettes qui délim­ite le pas­sage. Tassées sur le pavé, des Indi­ennes vendent des col­ifichets. A cet endroit, con­tre le débar­cadère… car ensuite ce ne sont que bou­tiques et gar­gotes, salons de mas­sage et jardins lunaires. Le tout peint aux couleurs arc-en-ciel. Et des pub­lic­ités badi­geon­nées: café organique, pier­res chaudes, fleurs de Bach. Je marche un peu, ralen­tis, hésite, marche encore et croise des blanch­es pieds nus, fer­raille dans le nez, la peau bleue. La nausée, je rebrousse chemin. Pour décom­press­er, j’achète une bière, monte dans le pre­mier bateau-bus qui passe direc­tion San Juan et San Pedro, de l’autre côté du lac. Assis sur le banc tape-cul mon voisin, palmi­er sur la tête, boucle au nez, entend que je par­le espagnol:

-D’où es-tu?

-De Suisse.

-Israël.

Alors sur le même ton martial:

-Et que va faire un Israélien à San Pedro?

-A San Pedro il y a des Juifs.