AV22 pour Bogota

Sig­nal Attachez vos cein­tures allumé, l’air­bus d’A­vian­ca est prêt à par­tir quand l’in­di­en avec qui je partage le dou­ble siège du fond (rangée 31, con­tre les toi­lettes, la moins chère de l’avion) se lève. C’est un type de la cam­pagne, mal lavé, l’air égaré. Depuis que nous sommes à bord, il a fait qua­torze télé­phones hurlant dans le micro­phone: “c’est moi, allô… dans l’avion, je suis dans l’avion, ça va? oui, oui… moi je suis dans l’avion!”. Dans le haut-par­leur du télé­phone on entend des bébés qui pleurent, des chiens qui aboient, des coqs qui chantent. Et main­tenant, il se lève. 

-Vous ne pou­vez aller nulle part, la porte est fermée. 

-Il faut que j’y aille, dit-il, j’ai oublié de chang­er de l’argent. 

Il par­le un espag­nol mât­iné de Kaqchikel. 

-Asseyez-vous, lui fais-je, je vais appel­er l’hôtesse, et j’ac­tionne le bouton.

A l’hôtesse et à son col­lègue stew­art, il répète: “je veux descen­dre, j’ai oublié de chang­er de l’agent!”.

-Si vous descen­dez main­tenant, vous ne pour­rez pas remonter.

Je le regarde: “alors, que t’ai-je dit?” — je m’aperçois que je lui par­le comme à un enfant.

Alors cette ques­tion hal­lu­ci­nante de l’hôtesse:

-Où allez-vous?

Je coupe la parole à l’Indien:

-J’e­spère que nous allons bien à Bogota?

-A Madrid, dit l’Indien. 

-Eh bien, vous pour­rez chang­er votre argent à Madrid Monsieur.

-Il y a des ban­ques là-bas? demande alors l’Indien.

Et je me dis: à Madrid, cet Indi­en va à Madrid, mon Dieu!