Cartons

Les car­tons de Mon­père ! Et sa machine à écrire. Lourde, dure, carénée, un robot Olivet­ti des années 1970. Acheté à la dame du con­teneur, le con­teneur des bonnes œuvres, la dame qui à Rincón, sur la pente, près de la grotte du Tré­sor, amasse quelques cen­times char­i­ta­bles qu’elle redis­tribue sous forme de soupe asso­cia­tive aux néces­si­teux. Et donc ces “choses” sont dans ma mai­son, au Nord, depuis le mois de décem­bre 2023, après que je les ai chargés dans mon van pour leur faire tra­vers­er le désert de Castille. Depuis? Je n’en sais rien moi! Oubliés. Stock­és? Oui, quelque part. Honte à moi quand Mon­père en juin de cette année, sous un arbre de Fri­bourg par­tie du jardin du “camp­ing à la ferme” de Vil­laz-Saint-Pierre me demande de lui remet­tre ces biens de tran­sit et que j’avoue les avoir… oubliés. Or, demain je repars en direc­tion de la Suisse. Il faut la machine et les car­tons. Pas ques­tion cette fois de faire mal, de faire faux. Pas ques­tion d’ou­bli­er. Pri­or­ité aux choses con­fiées. Et dès le matin, après que les maçons de la mairie ont fini de liss­er le trou dans ma paroi de cham­bre provo­qué par l’i­non­da­tion munic­i­pale. Pri­or­ité! Une tasse de café à la main, je descends mon escalier en con­fi­ance, je tire le rideau qui occulte le cagibi et… Les car­tons? Où sont les car­tons? Les car­tons de Mon­père? A plat ven­tre sous le lit de Luv, ven­tre à l’air sous le lit d’Ap­lo, je cherche et ne trou­ve que du noir. Je remonte l’escalier pour quérir une torche. Je redescends. Je me propulse sous les lits. Je pénètre dans les stocks. Ne trou­ve rien. Il est tôt pour suer — je sue. Du calme! Je me recoiffe. Allons! D’ac­cord, mais où peu­vent bien être ces car­tons? Que j’ai vus! Merde. Je les ai vus il n’y a pas un mois! De fait, juste avant le départ pour la Hon­grie, j’ai tout sor­ti des caches. Atten­tion, “tout” n’est pas une plaisan­terie: skis, car­relage, machine à laver et gants de boxe, bureau démon­té et albums-pho­tos, une longue-longue liste, pour minu­tieuse­ment, sur du papi­er-toi­lettes, not­er, not­er le “tout”. Ceci est sous l’escalier, cela sous le lit, et les déco­ra­tions de Noël, et les pneus Grav­el et les talons de Gala… Donc j’ou­vre mon armoire de sport, je détache la liste à qua­tre volets avec géolo­cal­i­sa­tion des élé­ments et je lis. Je relis. Pas de “car­tons de papa”. Pour­tant, je les ais vu. Vus le jour où j’ai tout organ­isé avec la rigueur d’un archi­tecte Minecraft. Donc? Cette-fois, ce n’est plus de la sueur. J’empoigne les sacs de com­bat et les vestes de vélo et les faces du Cube, les haut-par­leurs, les ordi­na­teurs et je jette, dans le couloir, en vrac, puis sur le vrac, un, deux, des amon­celle­ments! Je ruis­selle. Change­ment de T‑shirt. Sur la poitrine nue, je repasse le pull. Puis change­ment de pull. Nou­veau T‑shirt. Et je vais sous le lit, j’éven­tre le noir. Et j’en­tre dans l’ar­moire, que je pré­cip­ite au sol. C’est trop. Il me faut aller à la douche. Se calmer, je n’ar­rive pas. J’ap­pelle Mon­père. “En train de sec­ouer la mai­son de bas en haut, lui dis-je. Ces car­tons, ces mau­dits.. et d’abord, tu es sûr? Deux?” Il demande à sa femme. J’en­tends “un”. L’énigme se corse. Je rac­croche, je me remets à jur­er. Dans l’heure qui suit, c’est toute la mai­son que je déballe. Et pour éviter que la machine Olivet­ti et la valise ne dis­parais­sent sous les mon­ceaux, je les apporte à l’é­tage, je les pose en évi­dence devant la porte de sor­tie, prêts à par­tir pour la Suisse. Et je redescends. Je con­tin­ue. Fouille au corps les lits, les armoires, les étagères et même des car­tons (dès fois que les car­tons de Mon­père soient dans des car­tons). On voit que je n’é­carte aucune hypothèse, que je me donne du mal, eh bien: pas de car­tons. J’ap­pelle Gala. Nous raison­nons à haute-voix. Ensem­ble. A deux. Etape par étape. “Au départ de Rín­con… As-tu le sou­venir du poids de ces car­tons… La machine, d’ac­cord, mais à côté, te sou­viens-tu des car­tons…? Quel était leurs poids?”. Dix fois, je réponds: “je ne sais pas-je ne sais pas”. Impos­si­ble de se sou­venir de leur poids. Pour­tant, je jure les avoir vus. Il y a peu. Quand? Mais il y qua­tre semaine, quand j’ai rangé le tout! Alors, se pour­rait-il que je les ai trans­férés? Sur le ter­rain par exem­ple? Ce ne serait pas raisonnable. A 160 kilo­mètres? Dans la direc­tion opposée à la Suisse? Gala fait: “par­fois tu fais des choses étranges. Tu cherch­es ton livre et il est fans le frigidaire…”. Main­tenant, il est trois heures, l’heure de déje­uner — nous en restons là. Mais juste avant de met­tre fin à l’en­quête, Gala m’in­time l’or­dre d’e faire d’en­voy­er un mes­sage à Mon­père. De lui deman­der “sans trop en dire”, s’il se sou­vient de ce qu’il a mis dans le van, en décem­bre dernier, à Rincón, pour que je l’emporte à tra­vers les déserts et le fasse tran­siter vers la Suisse. Réponse ce soir: en fait, dit Mon­père au télé­phone, il est pos­si­ble que le seul car­ton que je t’ai con­fié te soit par­venu par la poste… Dans ce cas, tu me l’au­rais remis en juin, sous l’ arbre du “camp­ing à la ferme”. Silence au bout du fil. De mon côté. Donc… Voyons! Mon­père m’a par­lé de deux car­tons. Il m’a rap­pelé de ne pas oubli­er les “deux car­tons cette fois”. Et ce faisant — comme je fais en lit­téra­ture — j’ai imag­iné les deux car­tons et je les ai vus, et je leur ai créé une forme et je leur ai trou­vé une loca­tion, et je leur ai prêté l’ex­is­tence. Par­fait — ce que con­ti­en­nent ces car­tons? Des slips et des chaus­settes et du mail­lot de corps neufs achetés un Euro l’ex­em­plaire chez le gitan de la place.