Direction Transylvanie 3

Le train atter­rit enfin à Cluj et je vais à pied. La ville n’a pas allumé ses réver­bères. La per­spec­tive est indé­cise. Je sais où mène le boule­vard, mais ce soir je ne vais pas à l’ap­parte­ment Ein­stein, j’ai réservé une cham­bre “sta­da” Ion I.C. Mar­i­anu no 21–23. Je cherche l’im­meu­ble sur un plan pho­tographié, me repère au nom des boule­vards. Les plaques de rues ne sont pas autorisées sur les bâti­ments his­toriques et au cen­tre, des bâti­ments his­toriques, il n’y a que ça. Je nav­igue de gauche de droite, dans le noir. J’al­lume la torche de mon télé­phone, j’é­claire les recoins. Voilà le 19. Deux pas et c’est le 24. Entre deux, rien. A Cluj, les portes cochères ouvrent sur de vastes cours. Dans les buis­sons et sur le pavé s’é­bat­tent les poules. Les boîtes aux let­tres sont défon­cées, les portes creusées au hasard. De la main j’é­carte une branche et décou­vre un ado­les­cent sur une dalle. Sans lâch­er son jeu élec­tron­ique, il m’ex­plique qu’en Roumaine “c’est de l’autre côté”. Prov­i­den­tiel cet ado­les­cent. Dans mon impa­tience, j’ai même oublié qu’il ne par­lait pas l’anglais. Il le par­lait. Je regagne la “sta­da” Ion I.C. Mar­i­anu et marche à l’en­vers dans l’ob­scu­rité. Cette fois une plaque indique le 21. Sauf qu’il y der­rière la porte cochère dix boîtes à chiffres pour les clefs. Le pro­prié­taire a envoyé une pho­tographié de celle de son apparte­ment, je veux dire la cham­bre. Il existe trois boîtes de ce mod­èle. Je trou­ve la clef. La cham­bre est au troisième étage, la porte 19. Elle n’ex­iste pas. Je redescends, je remonte. Troisième étage, j’y étais et j’y suis: portes no 12 et 49. Alors, je décou­vre qu’il y a en galerie, au-dessus de la cour de ferme, les autres apparte­ments, numérotés de 12 à 49, façon apparte­ments col­lec­tifs de l’ère des sovi­ets. A l’aide d’un coussin, j’es­suie la sueur qui coule sur mon front et j’ap­pelle Gala. Un vieil­lard en culottes bal­lantes toque à ma porte. Il dor­mait, je l’ai réveil­lé. Il m’en­voie un bais­er. Des mou­ettes cri­ent dans le ciel. Il n’y a pas de mer. La riv­ière Some­sul char­rie à tra­vers Cluj des eaux jaunes. Sous le pont d’Horea, près d’E­in­stein, on voit un petit bunker à demi-immergé. Les mou­ettes l’habitent.