Essais

Denis de Rouge­mont à New-York con­state qu’il a tant méditer son sujet qu’il ne sait com­ment abor­der l’écri­t­ure de son essai La part du dia­ble (dans le Jour­nal). Il ouvre un cahi­er et pose une pre­mière phrase. Il écrit avec acharne­ment sans con­sul­ter ses notes, sans se tenir à un plan, et le plan appa­raît et le livre prend forme. Cette anec­dote me revient car après deux ans (avec inter­mit­tences) à faire des lec­tures pour enrichir mes moyens d’abor­der la ques­tion Gou­ver­nance et gam­ing, je lis (et aban­donne) cette semaine l’es­sai de Kather­ine Hayles, “How did we become posthu­man”, pour y dis­tinguer aus­sitôt (rai­son de mon renon­ce­ment) un livre qui se donne pour argu­men­tatif, con­stru­it et con­séquent alors qu’il n’est, de fait, qu’une vaste mise en rap­port d’idées glanées à des sources extérieures et sou­vent sans rap­port. Prob­lème — il va de soi — qui se pose à tout auteur d’es­sai, le pro­pre de l’es­sai étant de repren­dre ce qui a été dit pour informer une thèse neuve. Mais si La part du dia­ble ne se cache pas d’être un essai lit­téraire, comme d’ailleurs toute l’oeu­vre de De Rouge­mont (sauf les textes d’é­colo­gie poli­tique), il y a une forme de mal­hon­nêteté et donc de rup­ture du con­trat moral passé avec le lecteur dans le fait de présen­ter pour argu­men­tatif (au sens strict) un essai qui n’est qu’une col­lec­tion de sources. Com­pil­er et met­tre en rap­port n’est pas raison­ner et con­stru­ire. Ce n’est ni mieux ni moins bien, c’est autre chose. A moins que ce soit une affaire de degré. Les essais de Slo­ter­dijk per­me­t­tent d’en­vis­ager cette ques­tion par l’ex­em­ple, eux qui mêlent argu­men­taire infor­mé et spécu­la­tion littéraire.