Mois : août 2023

Pays

Frappe en Suisse lorsqu’on arrive de Hon­grie et d’Es­pagne l’im­pos­si­bil­ité de s’in­téress­er aux corps et aux vis­ages, l’im­pos­si­bil­ité de s’in­téress­er aux per­son­nes, de façon générale au vivant tant la cod­i­fi­ca­tion légale de l’e­space embri­gade le cerveau.

Château carton

En route pour Genève, il faut une étape. L’an dernier, j’ai renon­cé à me loger dans cette cham­bre sup­pos­i­toire entée sur un park­ing de super­marché de Balaruc, après sept cent kilo­mètres de con­duite le lieu oblige à boire plus que la mesure pour effac­er quelque peu le décor. Vers Lézig­nan-Cor­bières, comme nous roulions dans la direc­tion de l’Es­pagne juste après l’af­faire de la saisie de la Dodge par la police saint-gal­loise, Gala et moi avions cru trou­ver un havre; Gala à dire vrai, car je n’é­tais pas sans remar­quer les moquettes puantes et le gérant ivrogne donc absent, mais il y a avait le repas, un menu à prix mod­este. Donc ce soir, une fois négo­ciés les gira­toires-pots-de-fleur, nous voici au Mas de Gauzac, joli nom pour une bâtisse rose cochon dans un envi­ron­nement de hangars. Pas de moquette cette fois. Arrachée. Ni de gérant dans son jus. Rem­placé. Bonne nou­velle, le frigidaire du van a fait de mer­veilles: ma Skol brésili­enne est à point. Pen­dant que Gala se remaquille, j’avale des can­nettes. A dix-neuf heures, nous dînons. Touristes belges, camion­neurs roumains, piscine vide, sur­vol d’avion­nettes (club aéro­nau­tique de Lézig­nan). La diges­tion du sec­ond plat n’est pas com­mencée, me vient un mal à l’estom­ac. Dans cet état on voit mieux l’é­tat de mis­ère de la France: salle à manger aux parois trouées, vais­selle grasse, serveur intéri­maire, chais­es ban­cales, ce que résume cet objet inouï poussé dans un coin de mur: un bal­ai au manche cassé rafis­tolé au scotch. Nous éteignons pour la nuit. Côté estom­ac, les douleurs aug­mentent. Je peine à dormir. Je ne dors pas, je rêve. Où sont-ce des hal­lu­ci­na­tions? Quand le jour point, je suis défait. Lev­ée, Gala s’agite et vitupère: “ah les salauds, les crim­inels, ils vont m’en­ten­dre!” “Ce repas, dis-je, c’est de la bouil­lie pre­mier prix en bar­quette!”. Mais Gala par­le de la plomberie. Bruits d’eau, grince­ments, glou­glous, bou­chons, elle a rai­son, la tuyau­terie n’a cessé de jouer des cuiv­res. Gala marche sur la récep­tion. Longue attente. Elle revient : “sors dis­crète­ment, ils ont peur, j’ai dit mon mari est fou furieux, il n’a pas dor­mi, nous allons avoir un acci­dent, l’étab­lisse­ment sera respon­s­able. La cham­bre est offerte, partons!”. 

Thierry Breton

Pro­grès du total­i­tarisme européen: les robots con­tre la langue. Pro­gram­més pour lire et relire les déc­la­ra­tions des humains postées sur l’in­ter­net, les robots les expurge de tout vocab­u­laire cri­tique. Parade spon­tanée des vic­times de ce déni d’ex­pres­sion, par­ler par antiphrase, dire: “l’U­nion Européenne est le par­adis des lib­ertés”, un truc qui a le mérite de dénon­cer la mon­stru­osité que devient la langue quand elle est attaquée par une idéologie.

60 kilomètres

Pre­mière sor­tie à vélo depuis l’in­farc­tus de novem­bre dernier. Ces derniers mois, je roule trente à quar­ante kilo­mètres par jour, mais en cham­bre, les yeux rivés sur les indi­ca­teurs. Cet après-midi, je dépo­sais le van pour le grand ser­vice. Je prof­ite des trois heures que dure l’in­ter­ven­tion. Mon­tée jusqu’au monastère. Il fait 34 degrés. Pas une tache d’om­bre sur la route. Petite cadence, deux arrêts à des sources. Comme d’habi­tude, seul sur le mont. Au pas­sage de la Peña, je jette un coup d’oeil der­rière le pan­neau Urel, 1080m; c’est là qu’en juin un fuyard français qui avait abat­tu sa famille de l’autre côté de Pyrénées s’est tiré une balle dans la tête. De retour dans la Plaine de la vic­toire (en réal­ité une zone com­mer­ciale), le chef de l’ate­lier mécanique me dit: “j’ai étudié la ques­tion, à mon avis la garde civile ne dit pas tout. Il avait le pis­to­let con­tre lui. Tu imag­ines ça? Le type se sui­cide, il part à la ren­verse et le flingue reste là, bien au chaud dans sa main? Enfin bon, j’ai changé l’huile et les fil­tres, tu peux rouler un bon bout de temps.”. 

Etchémaïté

Anniver­saire de Gala. Nous pas­sons le col de la Pierre-Saint-Mar­tin sous une pluie fine, dans le brouil­lard, au milieu des chevaux. Près de Saint-Engrâce, des trombes d’eau déva­lent de la forêt. Nous atteignons Lar­rau, prenons une cham­bre au-dessus du restau­rant gas­tronomique, man­geons douze plats arrosé d’un Madi­ran qu’une gamine débar­quée de la ban­lieue sert glacé.

Rendez-vous

A l’oc­ca­sion des fêtes du vil­lage, une messe est célébrée le dimanche dans la chapelle du Saint-Graal. Des voisins mon­tent à cheval, d’autres y vont à pied, tous lon­gent la riv­ière, passent la pont de bois, se retrou­vent dans le petit édi­fice roman. La troupe par­tie, un mes­sage tombe sur le réseau télé­phonique. La maire écrit: “la messe com­mencera 11 heures, Jésus ne peut pas être là plus tôt” — elle par­le du curé. 

Vacation

Lais­sé là mes lec­tures. C’est l’été. Les citadins afflu­ent, la place est trans­for­mée en park­ing, les gîtes ont leurs locataires. Durant le mois d’août, le rite des ini­tiés est con­stant : en mat­inée cours­es de vélo pour les hommes, march­es en mon­tagne pour les femmes puis apéri­tif au bar et sieste. En début de soirée, jeux de fron­ton et baig­nade dans les trous d’eau riv­ières (celles qui ne sont pas à sec) et à nou­veau apéri­tif. A par­tir de onze heures, quand la tem­péra­ture baisse, les voisins s’in­vi­tent les uns les autres, ils allu­ment des feux, ils font griller de la viande (l’in­ter­dic­tion des feux inter­vient d’habi­tude fin août). Lorsque je me couche, les enfants sont dans la rue, ils ont la per­mis­sion de 1h30.