Château carton

En route pour Genève, il faut une étape. L’an dernier, j’ai renon­cé à me loger dans cette cham­bre sup­pos­i­toire entée sur un park­ing de super­marché de Balaruc, après sept cent kilo­mètres de con­duite le lieu oblige à boire plus que la mesure pour effac­er quelque peu le décor. Vers Lézig­nan-Cor­bières, comme nous roulions dans la direc­tion de l’Es­pagne juste après l’af­faire de la saisie de la Dodge par la police saint-gal­loise, Gala et moi avions cru trou­ver un havre; Gala à dire vrai, car je n’é­tais pas sans remar­quer les moquettes puantes et le gérant ivrogne donc absent, mais il y a avait le repas, un menu à prix mod­este. Donc ce soir, une fois négo­ciés les gira­toires-pots-de-fleur, nous voici au Mas de Gauzac, joli nom pour une bâtisse rose cochon dans un envi­ron­nement de hangars. Pas de moquette cette fois. Arrachée. Ni de gérant dans son jus. Rem­placé. Bonne nou­velle, le frigidaire du van a fait de mer­veilles: ma Skol brésili­enne est à point. Pen­dant que Gala se remaquille, j’avale des can­nettes. A dix-neuf heures, nous dînons. Touristes belges, camion­neurs roumains, piscine vide, sur­vol d’avion­nettes (club aéro­nau­tique de Lézig­nan). La diges­tion du sec­ond plat n’est pas com­mencée, me vient un mal à l’estom­ac. Dans cet état on voit mieux l’é­tat de mis­ère de la France: salle à manger aux parois trouées, vais­selle grasse, serveur intéri­maire, chais­es ban­cales, ce que résume cet objet inouï poussé dans un coin de mur: un bal­ai au manche cassé rafis­tolé au scotch. Nous éteignons pour la nuit. Côté estom­ac, les douleurs aug­mentent. Je peine à dormir. Je ne dors pas, je rêve. Où sont-ce des hal­lu­ci­na­tions? Quand le jour point, je suis défait. Lev­ée, Gala s’agite et vitupère: “ah les salauds, les crim­inels, ils vont m’en­ten­dre!” “Ce repas, dis-je, c’est de la bouil­lie pre­mier prix en bar­quette!”. Mais Gala par­le de la plomberie. Bruits d’eau, grince­ments, glou­glous, bou­chons, elle a rai­son, la tuyau­terie n’a cessé de jouer des cuiv­res. Gala marche sur la récep­tion. Longue attente. Elle revient : “sors dis­crète­ment, ils ont peur, j’ai dit mon mari est fou furieux, il n’a pas dor­mi, nous allons avoir un acci­dent, l’étab­lisse­ment sera respon­s­able. La cham­bre est offerte, partons!”.