Village balnéaire en Guipuzkoa et choix judicieux. Les enfants voulaient surfer. J’ai suggéré la côte Nord du Portugal. Cela me permettait de traverser l’Espagne en camionnette, d’établir des bivouacs au passage, de les recevoir à l’aéroport de Porto. Mais il y avait la distance — plus de 900 kilomètres — et ces photographies d’une côte sauvage, aride, peu habitée. Nous avons décidé de rester en Espagne. La veille du départ pour Bilbao, là où les enfants atterrissent, je croise l’invité de mon voisin, un Basque. Quand il apprend que je suis allé à Zarautz il y a vingt-cinq ans, il me dit: “vous ne reconnaîtrez plus rien!”. A midi, nous mangeons des tapas dans un faubourg de Bilbao bloqué par le passage du Tour de France. Un habitué du quartier nous explique comment quitter la zone en contournant les barrages de police. Nous trouvons une autoroute déserte. Un heure plus tard, nous installons la camionnette sur une colline verte de pluie au dessus de la baie de Zarautz. Commence ma première tentative de vacances en camping avec un matériel qui me met au rang de la concurrence: table et chaises, auvent et cuisine de campagne, glacière et bac à vaisselle. Les autres clients parlent hollandais et allemand. Quelques Belges, peu d’Espagnols. Nous avons notre parcelle. Deux arbres en marquent la limite. Dans ce périmètre, je dresse la tente monoplace que j’utilise pour le bivouac à vélo; Aplo et Luv dorment chacun à un étage de la camionnette.
Mois : juin 2023
Rivière
Arrivé sur le terrain de Piedralma pour quatre nuits, le ciel se déchaîne, il pleut. C’est l’Espagne, même au fond d’un défilé le soleil ne devrait tarder; je me trompe. Les pommiers tremblent, les pins secouent, le chant de grenouilles remplace celui des oiseaux. Entre deux averses je sors du van, mets en route la débroussailleuse, fauche les hautes herbes qui grimpent autour du dôme. Puis il tonne, des éclairs déchirent les nuages, je dois lâcher la besogne. Sept livres de philosophie, cela paraissait ambitieux pour quatre jours. En fin de compte, j’aurai tout lu. Car si l’on se baigne comme jamais dans la rivière, la fonte des neiges ajoutée aux ravages de la pluie noient entièrement le pont. D’abord, je crois passer; le lendemain, il n’y a plus de doute: je suis coincé. Evola avec sa Jeep réhaussée se refuse à prendre le risque. C’est dire avec mon van de deux tonnes sur petites roues. Chaque matin je vais au pont. Et chaque matin j’en reviens dépité. L’eau roule un flot de plus d’un mètre sur la chape de mortier. Alors je lis et je débroussaille. Le soir je rejoins Evola devant sa caravane qui tout l’après-midi s’occupe de ventiler la bouse de vache dont il veut faire son engrais, nous nous serrons sous le parasol, nous prenons l’apéritif (bière pour moi, vin-Coca-Cola pour lui). Nous rentrons les épaules mouillées et de la boue accrochée aux godasses. A la fin de la semaine, j’avertis le village. Samedi se tient la cyclotouriste et je fais voiture-balai sur l’itinéraire des 170 kilomètres. Dès la veille, j’étais requis pour baliser de fanions le circuit. Mais l’eau continue de ronfler sur le pont, il faut renoncer. Alors je me baigne, je retourne à mes livres, je dors mes onze heures par nuit.
Grave (suite)
Au terme d’une nuit de grandes douleurs où les oiseaux qui égayent l’impasse me vrillent les ouïes, la tête soudain durcit par l’intérieur et fige son contenu de raisonnements. Je me précipite dans le couloir dont j’arpente le carrelage pieds nus, je vais et je viens. De retour dans la chambre, je m’envoie une giclée de nitroglycérine sous le palet. Me recouche, me rendors. J’aboutis alors dans l’appartement de Genève que j’habitais il y a dix-huit ans. Il est squatté par des filles à cheveux brosse et bottes martiales qui montrent des lits superposés, des armoires à habits, des éviers collectifs. Et mes affaires? Enterrées sous le plancher. Aussitôt je suis submergé par la nostalgie de cette époque des squats marquée par le sentiment des possibles. “D’accord, d’accord, dis-je aux occupantes à cheveux brosse, mais merde, c’est moi qui étais dans ce squat!”. Réveillé en sursaut, j’ai tiens tête entre mes mains que je presse et masse et malaxe. Il est neuf heures le matin, un orage s’annonce, les oiseaux ne chantent plus. Je me décide à aller à l’hôpital. A l’étage je rassemble des affaires, trousse de toilettes, livres, stylos, cahier. Je vais ouvrir la porte de l’armoire à habits lorsque je découvre sur l’édredon un scarabée vert or. En cinq ans, jamais je n’ai vu pareil spécimen. Je le fais glisser le scarabée dans le creux de ma main et l’apporte au jardin. Là, je le jette au pied du prunier. Un oiseau s’envole.