Rivière

Arrivé sur le ter­rain de Piedral­ma pour qua­tre nuits, le ciel se déchaîne, il pleut. C’est l’Es­pagne, même au fond d’un défilé le soleil ne devrait tarder; je me trompe. Les pom­miers trem­blent, les pins sec­ouent, le chant de grenouilles rem­place celui des oiseaux. Entre deux avers­es je sors du van, mets en route la débrous­sailleuse, fauche les hautes herbes qui grimpent autour du dôme. Puis il tonne, des éclairs déchirent les nuages, je dois lâch­er la besogne. Sept livres de philoso­phie, cela parais­sait ambitieux pour qua­tre jours. En fin de compte, j’au­rai tout lu. Car si l’on se baigne comme jamais dans la riv­ière, la fonte des neiges ajoutée aux rav­ages de la pluie noient entière­ment le pont. D’abord, je crois pass­er; le lende­main, il n’y a plus de doute: je suis coincé. Evola avec sa Jeep réhaussée se refuse à pren­dre le risque. C’est dire avec mon van de deux tonnes sur petites roues. Chaque matin je vais au pont. Et chaque matin j’en reviens dépité. L’eau roule un flot de plus d’un mètre sur la chape de morti­er. Alors je lis et je débrous­saille. Le soir je rejoins Evola devant sa car­a­vane qui tout l’après-midi s’oc­cupe de ven­til­er la bouse de vache dont il veut faire son engrais, nous nous ser­rons sous le para­sol, nous prenons l’apéri­tif (bière pour moi, vin-Coca-Cola pour lui). Nous ren­trons les épaules mouil­lées et de la boue accrochée aux godass­es. A la fin de la semaine, j’aver­tis le vil­lage. Same­di se tient la cyclo­touriste et je fais voiture-bal­ai sur l’it­inéraire des 170 kilo­mètres. Dès la veille, j’é­tais req­uis pour balis­er de fan­ions le cir­cuit. Mais l’eau con­tin­ue de ron­fler sur le pont, il faut renon­cer. Alors je me baigne, je retourne à mes livres, je dors mes onze heures par nuit.