Imaginaire

Lorsque j’a­chetais à Agrabuey il y a cinq ans, je ne me préoc­cu­pais ni de la géo­gra­phie ni des loisirs: les murs sont de pierre me dis­ais-je, la mon­tagne est boisée, le vil­lage compte des sources et une riv­ière, voilà. Ent­hou­si­aste du site et de ses habi­tants, gar­di­en de la chronique locale mon voisin s’en trou­va vexé. Lorsqu’il deman­da devant un groupe d’ex­pli­quer pourquoi, moi un Suisse, j’avais choisi de m’établir à Agrabuey, il s’at­tendait à une réponse pas­sion­née. “Un hasard”, dis-je. Je pré­ci­sais : le résul­tat d’un cal­cul. Car la même année je me prom­e­nais en Castille sur les hauts d’Ávi­la et chez les Andalous, dans l’ar­rière-pays de l’Axar­quie, vis­i­tant des pro­priétés aux promess­es com­pa­ra­bles, soli­tude, eau, bois. Si j’en par­le, c’est que (par­fois) le hasard fait bien les choses. Naïf que je suis, je ne voy­ais pas la France de l’autre côté du col. Le ter­ri­toire des Hautes-Pyrénées est heureuse­ment sauvage et peu habité — il aurait pu en aller autrement. Pour les sta­tions de ski de même. Ce sont les plus réputées d’Es­pagne, elles attirent les citadins et l’ar­gent, eh bien je n’y pen­sais pas. Toute éner­gies con­cen­trées sur les moyens d’un avenir vivant et moral (pro­tégé des “derniers hommes”) cher­chant du bois, de l’eau et de la pierre, et une posi­tion de repli, je ne situ­ais pas Agrabuey sur une carte réelle mais imaginaire.