Mois : décembre 2022

Envol

Pluie bat­tante sur la route de Saragosse, la Jeep bleue d’Evola chas­se l’eau, il est treize heures lorsque nous descen­dons le col du Mon­repós. Pen­dant ce temps Nome quitte Zurich, il est dans l’avion pour Barcelone, atter­ris­sage à 14h. J’ai réservé un bil­let de train pour 15h15, envoyé les con­seils pour rejoin­dre en métro la gare de Barcelone-Sants. Si Evola et moi par­tons aus­si tôt, c’est qu’Evola doit faire des achats. Depuis l’été, il a dor­mi au camp­ing puis sur un canapé-lit. Or, il a achevé hier la pièce qui servi­ra de cham­bre à bord de la car­a­vane. Aujour­d’hui, il lui manque un mate­las. Début d’après-midi, nous voici dans la zone marchande de Puer­to Vene­cia, quartiers nord de Saragosse. Quant au prix du mate­las, Evola n’y a pas pen­sé. Moi qui ai acheté des dizaines de mate­las dans ma vie (pas une métaphore, je dirais à l’œil trente, peut-être pour me dédom­mager d’avoir dor­mi des années sur une palette de chantier), je con­nais les for­mats, les méth­odes de rem­bour­rage et la gamme des prix. “Le meilleur”, tranche Evola. Qu’il pen­sait acheter en grande sur­face. Je me récrie. Le meilleur? En grande sur­face? Alors que nous cir­cu­lons sur des park­ings inondés, j’avise une enseigne de mobili­er. Déci­sion prise, il achètera là. Deux gamines en uni­forme nous guident jusqu’au ray­on mate­las, don­nent les expli­ca­tions, annon­cent les prix. Evola retire sa veste qui sent le feu, il se laisse choir sur un mod­èle rem­bour­ré. “Par­fait!”. Sauf que la vendeuse ne l’a pas en stock. Ni celui d’à côté. Très vite, le choix se réduit comme peau de cha­grin. Evola est acculé. Il jette son dévolu sur l’un des deux mod­èles en stock. Qua­tre cent francs. Nous récupérons son achat sur le quai de livrai­son. Je véri­fie l’emballage, m’as­sure qu’il résis­tera à la pluie (deux cent kilo­mètres pour regag­n­er le ter­rain). Evola dresse le mate­las sur le pont décou­vert de la Jeep, appuie la par­tie haute sur la ram­barde de pro­tec­tion du véhicule, déroule une lanière, ajuste le tenseur, véri­fie le blocage, le tour est joué, nous démar­rons, nous rejoignons un autre park­ing. Atmo­sphère étrange en ce jour de l’Avent, Puer­to Vene­cia est peu fréquen­té, ici et là quelques sil­hou­ettes, beau­coup de vide, rien à voir avec la ruée habituelle des achats de Noël. Ce pourquoi je demande à Evola comme nous nous éloignons du véhicule: “tu ne crains pas le vol?”. “J’ai absol­u­ment con­fi­ance!”. “Oui, dis-je, mais à ta place, je rap­procherais au moins la Jeep. A la trou­ver ain­si isolée , au bout du park­ing, avec ce mate­las tout neuf…”. Evola m’as­sure qu’il n’y aura aucun prob­lème. Après tout, c’est son mate­las, son argent, sa dépense. Nous voici dans un bar du cen­tre com­mer­cial, à boire un café, une bière, quand le télé­phone sonne: Nome est en rade, il a raté son arrêt de métro, le train est par­ti, il cherche une solu­tion de rechange. Evola mau­grée. Il n’a pas tort; si j’ai pris un bil­let pour ce train et non pour un autre c’est au terme d’un savant cal­cul car, je l’ai dit, il faut encore regag­n­er le ter­rain et il va faire nuit et il pleut, puis il y a le mate­las. Mais j’ai tort de m’in­quiéter: Nome échange son bil­let, monte dans le train suiv­ant, nous le récupérons dans le ven­tre de la gigan­tesque gare Deli­cias de Saragosse, le mon­u­ment fer­rovi­aire le plus absurde d’Eu­rope et le col relevé cour­rons dans la pluie à tra­vers un autre park­ing. Evola démarre la Jeep, le mate­las est embal­lé, l’eau glisse sur le plas­tique, il fait nuit. tout va bien. Une heure plus tard, alors que nous roulons dans l’or­age près de Huesca, je demande inopiné­ment: “Evola, tu ne devrais pas t’ar­rêter pour véri­fi­er que la lanière tient bon?”. Lequel con­state l’œil dans le rétro­viseur: “Bon dieu, le mate­las!”. Envolé.

Bernanos

Ecrit dans Les grands cimetières sous la lune: “L’homme est naturelle­ment résigné. L’homme mod­erne plus que les autres en rai­son de l’ex­trême soli­tude où le laisse une société qui ne con­naît plus guère entre les êtres que des rap­ports d’ar­gent. Mais nous auri­ons tort de croire que cette résig­na­tion en fait un ani­mal inof­fen­sif. Elle con­cen­tre en lui tous les poi­sons qui le ren­dent disponible le moment venu pour toute espèce de vio­lence. Le peu­ple des démoc­ra­ties n’est qu’une foule, une foule per­pétuelle­ment tenue en haleine par l’O­ra­teur invis­i­ble, les voix venues de tous les coins de la terre, les voix qui la pren­nent aux entrailles, d’au­tant plus puis­sante sur ses nerfs qu’elles s’ap­pliquent à par­ler le lan­gage même de ses désirs, de ses haines, de ses terreurs.” 

Agrabuey

Le paysan une bouteille de 1 litre à la main: “je vais à la fontaine chercher de l’eau pour le chat”.

Le clown

Klaus Schwab peut-il nous faire un tuto­riel sur la façon de pré­par­er le bol de vers de terre du petit-déjeuner?

Fin

Trois mis­siles tombent sur le quarti­er. L’un à mes pieds. Avant l’ex­plo­sion et la mort, regards vers Mamère, Mon­frère et mon fils mais pour ma fille, je ne réus­sis pas à établir le con­tact. Elle est petite, elle dans les bras d’un incon­nu, cet incon­nu me tourne le dos.

Multiculturalisme

Résul­tat recher­ché, résul­tat obtenu: partout dans les cap­i­tales d’Eu­rope bains de sang, atten­tats et mas­sacres, vio­ls et coups de couteau, destruc­tion des vivants et des biens. 

(Marché de) littérature

L’ate­lier d’écri­t­ure per­met à l’écrivain de se per­suad­er qu’il est écrivain.

Vies

Il n’y a pas de vie future et je m’en réjouis, mais il y a des vies antérieures; ce sont elles qui impri­ment à la matière des jours son mou­ve­ment et font par­fois remon­ter à la con­science des images qui bousculent.

Occident

Un monde finis­sant. Qui dans cet état dure.

Grave (suite)

Recul vital con­sid­érable à force d’en rabat­tre sur les activ­ités sans que je sache si c’est bien fondé aucun médecin n’ayant don­né de con­seils quant à la façon de con­duire la con­va­les­cence. Je suis en attente d’un avis indisponible et, par pru­dence, me tiens tran­quille ce qui con­siste à éviter de trop boire, éviter de mon­ter à vélo, éviter les haltères et la course, éviter de sauter, hurler, porter; à la fin, je ne fais que lire, écrire et penser. La journée s’é­coule ain­si, entre le bureau et le poêle, puis je me mets au lit, con­tent non seule­ment d’être réfugié dans la mai­son mais désireux de me réfugi­er plus avant, dans la cham­bre, dans le silence, dans le noir. Moment où je recom­mence d’écrire, de penser et de lire, ne pou­vant trou­ver le som­meil après une journée aus­si tranquille.