“Ce n’est peut-être pas le talent qui fait l’écrivain, mais le refus d’accepter la langue et les idées toutes faites. Je crois qu’au début, on est tout simplement bête, plus bête que ceux qui n’ont pas de mal à comprendre. Alors on se met à écrire comme pour se rétablir d’une grave maladie, pour maîtriser sa folie — ne serait-ce que le temps de l’écriture.” Imre Kertész, Journal de Galère.
Mois : novembre 2022
Le monde d’hier
Retour à la bien-aimée, film de 1979 avec Isabelle Huppert, Jacques Dutronc, Bruno Ganz. La gare SNCF a une porte que l’on peut ouvrir et fermer, le salon où se déroule le drame un tourne-disque et son amplificateur. Dutronc, l’ex-mari pianiste demande à Ganz le mari médecin: “combien de disques avez-vous?” Lequel répond: “Trois cent? Je ne sais pas”.
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Après l’hôpital, mon anniversaire. Le matin, Gala est chez l’esthéticienne, je déjeune sur le balcon, j’ai mon café, mon pain à la tomate, la plage est jaune, l’eau ourlée fait entendre son ressac. Je pars à pied en direction de Benagalbón. La carte indique un parking de caravanes à quelques rues, mais la semaine dernière je n’ai pas trouvé; pour cause il est à cinq kilomètres, dans les hauteurs, au milieu des palmiers poussiéreux et des perroquets qui n’ont pas volé vers le Maroc. Entre chaos et villas, le lieu est séduisant. Sans forme ni caractère, oublié. Je longe le lit sec d’un ruisseau, me renseigne auprès du réceptionniste. Décembre et janvier sont les mois les plus demandés, me dit l’étudiant, et il n’y a que vingt places. Il est onze heures, les Hollandais, les Allemands bronzent sur des pliants, les cabots sur la natte. Pas l’aventure. Alentour l’atmosphère rappelle les périphéries de villes de Java, ce côté désordre enchanté, mais sur le parking cela sent l’ordre et la petitesse. De retour à Rincón, je repère les quartiers neufs, encore en chantier, il y a assez de place dans les rues secondaires pour garer la camionnette et passer la nuit quand je rendrai visite à mon père au début de l’année prochaine. Tant pis pour la douche et les toilettes. Gala m’attend à l’hôtel, nous montons dans un taxi, mangeons sur le port de la Cala, revenons en bus par les collines, allons à la sieste, puis sur la terrasse, chez le Chinois (pour la bière). En fin de journée, j’achète mon cadeau par internet, offert par Gala, Shenzou de Biosphere version six vinyles.
Puces
Au marché aux puces, sur l’aire de la Foire de Malaga qui avec ses façades de carton-pâte ressemble l’hiver à un village Potemkine. Le marché est divisé en trois sections: les puces, les habits, les fruits-légumes: je ne connais pas d’endroit moins cher sur le continent. Un poignée de pièces et il vous faut des valises pour emporter vos achats. Deux kilos de tomates, Fr. 1.-., le kilo d’ail moitié moins. Des chaussettes de sport? Six paires pour Fr. 2,50. Ainsi de suite. Pourtant les gens hésitent, négocient, comparent. Les moyens sont pauvres, la clientèle précapitaliste, les vendeurs à la limite du muletier-charretier nomadisant, mais de toutes les scènes vécues ce dimanche, je retiens cet homme qui considère la boîte à biscuits qu’il tient dans la main droite. Quelques pièces anciennes, à demi-rouillées, s’y baladent. Un œil à la paume de sa main gauche où il a ses sous. S’il achète, est-ce qu’il en aura pour son argent?