Mois : octobre 2022

Gréement

Chaque jour moins capa­ble de me diver­tir de moi-même.

“Berrea”

De nuit pour enten­dre brâmer les cerfs. Les jeeps débar­quent une dizaine de voisins. Nous sommes sur une falaise, au-dessus de la riv­ière. Les adultes imposent le silence, les enfants s’as­soient au sol. Je lève les yeux, fixe longtemps le ciel: il est extra­or­di­naire. Dans le noir j’en­tends chu­chot­er le nom des planètes et des galax­ies. Comme je baisse les yeux, je vois mes amis qui les télé­phones pointés vers la voûte déchiffrent leurs écrans. Un cri reten­tit, aigu puis grave et sac­cadé. Les chas­seurs du groupe mon­trent où se trou­vent les bêtes, devi­nent leurs âges. Les enfants ten­dent l’or­eille. Plus tard un bruit de moteur annonce l’ap­proche d’une voiture. Le maire enclenche les phares du con­voi pour mar­quer notre posi­tion. Ini­go: “les Espag­nols ne peu­vent pas s’empêcher d’aller partout en voiture!”. Les gens du vil­lage se met­tent sur la côté, c’est une famille qui est allée plus loin, plus haut, près des ruines de Cis­te­nas, une famille que per­son­ne ne con­naît — on se salue. Le silence retombe, il fait le noir. Je recom­mence ma con­tem­pla­tion du ciel. Les cris des mâles reten­tis­sent. Lorsque nous allons par­tir, cinq cerfs détal­ent dans la lumière de nos feux.

Chiffres et quantités

Aujour­d’hui est le pre­mier jour de la nou­velle vie. Hors de Suisse, dis­posant du temps et du silence, sans tra­vail, retranché, con­tent. Pour attein­dre ce lieu, écrire sans être repris, harcelé, emmerdé, il aura fal­lu huit mois. La querelle a com­mencé en hiv­er, alors que j’é­tais à Mahon, je venais de porter plainte con­tre mes col­lègues qui engageaient l’en­tre­prise dans une col­lab­o­ra­tion ren­for­cée avec l’E­tat (trans­for­mant ce que nous avons créé il y a trente ans à l’époque des squats en un ser­vice de pro­pa­gande). Ce ven­dre­di j’ai garé mon nou­veau véhicule — un bus muni de couchettes — dans le garage munic­i­pal d’A­grabuey. Entre temps, j’ai envoyé plus de cent-cinquante mails, des dizaines de recom­mandées, roulé 9’000 kilo­mètres dans qua­tre pays, vécu quar­ante-sept jours à l’hô­tel, traité avec deux avo­cats, un juge, des douaniers, des flics, et Mamère et Mon­frère devenus pen­dant la fausse Grippe déclenchée en 2019 incon­trôlables et faux. Instal­lé ce soir dans ma mai­son de pierre, j’ai sur le vais­se­li­er, le buf­fet, les chais­es, des livres col­lec­tés lors de mes vis­ites des librairies d’oc­ca­sion, un vélo sta­tique, un vélo de course, un vélo de voy­age et cinquante litres de bière brésili­enne. Pour la musique, hier Djorge frappe à ma porte. De la part de son frère, un ermite qui vit avec sa femme et leur fille dans un endroit reculé de la val­lée, il me remet un vinyle édi­tion lim­itée : “ce qui se fait de plus dur, Dario tient à ce que tu l’écoutes !”.