Mois : octobre 2022

Guggenheim

A l’en­trée du musée, je pousse la famille: “allez devant, je con­nais déjà !”. Le temps passe, mes têtes blondes, ma femme (qui n’est pas Gala mais X.) ne revi­en­nent pas. J’ attrape le vélo, fend les groupes assem­blés devant les œuvres, monte dans les étages, aperçois devant une toile l’écrivain OT, le crâne chauve, la peau malade, l’air d’un batra­cien. Et redescends et recom­mence. Pas trace des miens. A la troisième ten­ta­tive, je vais jusqu’au gre­nier du musée. Assis der­rière son bureau, un psy­ch­an­a­lyste explique d’un air navré à l’écrivain OT: “ils ne vous ont rien lais­sé”. Je demande: “Avez-vous vu ma famille?”. Le psy­ch­an­a­lyste dés­in­volte: “par­tis”. Je demande : “… quand?”. Avec la même dés­in­vol­ture : “Oh, il y a déjà plus d’une heure!”. 

Mouvement

Braire avec les ânes n’est pas com­pliqué surtout si le paysan tire sur la queue pour déclencher l’événement.

Art

L’art est indi­vidu­el, silen­cieux, ne laisse que de rares traces, de ce fait précieuses.

Chiffres et quantités 2

Dif­fi­cile d’é­val­uer com­bi­en les batailles absur­des déclenchées par les rap­ports de tra­vail et de société nous éloignent du cen­tre néces­saire de l’at­ten­tion. Or, elle seule per­met à l’homme de se con­stituer val­able­ment. Après huit mois à réa­gir, loin de toute explo­ration intime, je tente de retrou­ver le chemin. La nuit je fab­rique, comme je fais par­fois pour chas­s­er l’in­som­nie, des vers, tra­vail­lant autour d’un pre­mier venu: rude écorce des mau­vais cerveaux…

Culture

Cha­toiement dérisoire des pro­duc­tions collectives.

Gréement 2

Le ven­dre­di arrivent au vil­lage les citadins. Ils ouvrent les maisons, dressent la table au jardin, les enfants se répan­dent dans les rues. Cer­taines familles roulent plus de mil kilo­mètres pour prof­iter du silence et de la nature les same­di et dimanche. Aus­sitôt arrivés, ils com­men­cent des activ­ités, l’été baig­nade dans les riv­ières, cir­cuits à vélo, ran­don­nées, pael­las, à l’au­tomne cueil­lette de champignons. Lorsqu’ils se quit­tent le soir, ils fix­ent l’heure du ren­dez-vous le lende­main matin. Les enfants précè­dent les adultes, entrent dans les maisons, les pre­mier lev­és font le petit-déje­uner pour les autres, tout le jour et tout le week-end ils par­lent et jouent, ne cessent de par­ler et de jouer. Ils bail­lent mais ne sont pas fatigués. Il sont fatigués mais le cachent. Dimanche en début d’après-midi, hommes et femmes repren­nent la route, une semaine de tra­vail les attend. 

Outil

Pour la pra­tique d’un théâtre sans spec­ta­teur, privé de sa dimen­sion spécu­laire, voué à la recherche par le dialogue.

Poésie

Ce jeune poète avec qui j’avais fait alliance pour l’en­reg­istrement de dis­ques. Un duvet de poils sous le nez, le teint livide, habil­lé d’un cos­tume gris de ban­quier. Génial et fou. Il évi­tait de par­ler le pre­mier. Lorsque je demandais: “com­ment vas-tu?, il me répondait: “je me le demande”.

Primo Levi 2

“L’opéra­tion est assez peu douloureuse et extrême­ment rapi­de: on nous fait met­tre en rang par ordre alphabé­tique, puis on nous fait défil­er un par un devant un habile fonc­tion­naire muni d’une sorte de poinçon à aigu­ille courte. Il sem­ble bien que ce soit là une véri­ta­ble ini­ti­a­tion: ce n’est qu’ ”en mon­trant le numéro” qu’on a droit au pain et à la soupe. Il nous a fal­lu bien des jours et bon nom­bre de gifles et de coups de poing pour nous habituer à mon­tr­er rapi­de­ment notre numéro []”. Si c’est un homme, p. 35.

Primo Levi

“Nous n’avons jamais vu où ils finis­sent, mais nous sen­tons la présence maligne des bar­belés qui nous tien­nent séparés du monde. Et sur les échafaudages, sur les trains en manœu­vre, sur les routes, dans les tranchées, dans les bureaux, des hommes et des hommes, des esclaves et des maîtres, et les maîtres eux-mêmes esclaves; la peur gou­verne les uns, la haine les autres; tout autre sen­ti­ment a dis­paru. Cha­cun est à cha­cun un enne­mi ou un rival.” Si c’est un homme, p. 59.