Portes de Genève 2

Com­ment se nour­rit-on dans la périphérie d’An­nemasse? Manger, c’est une autre affaire. Le pre­mier jour, au terme des mil deux cent kilo­mètres de route, sous le coup de l’en­t­hou­si­asme et de la fatigue, nous avons gravi la falaise de l’Arve côté genevois. Dans une impasse, un restau­rant au décor savo­yard sert des plats de mon­tagne au prix du caviar. Le lende­main, nous roulons au cen­tre-ville. La nuit tombe. Fer­rari, l’auberge du quarti­er de la gare que je fréquen­tais autre­fois n’ex­iste plus. Au pied des façades, l’ef­fet est améri­cain: pizze­rias, Kebab, Chi­nois. Reste la brasserie de la place de l’Hô­tel de Ville. Une Tav­erne de Maître Kan­ter alsa­ci­enne, aux airs de lupa­nar (parois de peluche rouge), au ser­vice africain. Pour y accéder il faut tra­vers­er une zone à l’at­mo­sphère post-apoc­a­lyp­tique façon jeu de zom­bies. En décomp­tant les corps échoués, on aurait vite fait d’ad­di­tion­ner les points. Mais on ne peut pas tout faire: en marche, il faut se gar­er si l’on ne veut pas buter sur un deal­er ou un diva­gant. Dans la salle, lou­pi­otes jaunes, ambiance déprimée et plateaux de fruits de mer. A ce stade, je renonce à manger. Gala choisit des huîtres. Pen­dant qu’elle goûte, le serveur récure la table voi­sine au lave-vit­re. Mais je râle: les (rares) autres clients n’ont pas l’air de trou­ver à y redire. Juste­ment, nous par­lons de l’én­er­gumène né dans cette ban­lieue de France, éner­gumène dont la seule men­tion rend Gala folle de rage, celui qui a témoigné con­tre elle il y a vingt ans, par bêtise, par jalousie, surtout par jalousie. Vingt ans depuis cet événe­ment mais que Gala entende son nom et aus­sitôt elle songe à mar­quer des points au jeu de mas­sacre. Soudain une table se lève. Nous n’avions pas remar­qué ces gens assis en cer­cle qui calme­ment échangeaient. Qui passe devant nous? L’énergumène.