Comment se nourrit-on dans la périphérie d’Annemasse? Manger, c’est une autre affaire. Le premier jour, au terme des mil deux cent kilomètres de route, sous le coup de l’enthousiasme et de la fatigue, nous avons gravi la falaise de l’Arve côté genevois. Dans une impasse, un restaurant au décor savoyard sert des plats de montagne au prix du caviar. Le lendemain, nous roulons au centre-ville. La nuit tombe. Ferrari, l’auberge du quartier de la gare que je fréquentais autrefois n’existe plus. Au pied des façades, l’effet est américain: pizzerias, Kebab, Chinois. Reste la brasserie de la place de l’Hôtel de Ville. Une Taverne de Maître Kanter alsacienne, aux airs de lupanar (parois de peluche rouge), au service africain. Pour y accéder il faut traverser une zone à l’atmosphère post-apocalyptique façon jeu de zombies. En décomptant les corps échoués, on aurait vite fait d’additionner les points. Mais on ne peut pas tout faire: en marche, il faut se garer si l’on ne veut pas buter sur un dealer ou un divagant. Dans la salle, loupiotes jaunes, ambiance déprimée et plateaux de fruits de mer. A ce stade, je renonce à manger. Gala choisit des huîtres. Pendant qu’elle goûte, le serveur récure la table voisine au lave-vitre. Mais je râle: les (rares) autres clients n’ont pas l’air de trouver à y redire. Justement, nous parlons de l’énergumène né dans cette banlieue de France, énergumène dont la seule mention rend Gala folle de rage, celui qui a témoigné contre elle il y a vingt ans, par bêtise, par jalousie, surtout par jalousie. Vingt ans depuis cet événement mais que Gala entende son nom et aussitôt elle songe à marquer des points au jeu de massacre. Soudain une table se lève. Nous n’avions pas remarqué ces gens assis en cercle qui calmement échangeaient. Qui passe devant nous? L’énergumène.