Longue route, route tranquille, droites à travers les oliveraies de Jaen (au passage, achat de trente litres d’huile pressée à froid dans un tunnel troglodyte du parque Despeñaperros), steppes à moulins de Ciudad Real et mémoire lente des lieux connus pour atteindre en soirée Madrid par la M‑50, ce cordon ombilical qui enserre la capitale après qu’elle fut enserrée à mesure que les années passaient par ses deux sœurs la M‑30 et la M40. Ralentissant enfin la vitesse que je tiens toujours, par principe, au-dessus de la moyenne autorisée, maigre sublimation, je rejoins dans Barajas au gré d’un dédale que seule une flottille de satellites propriétaires peut démêler l’hôtel Maydrit où j’ai réservé ma chambre, gare la Dodge, ressors aussitôt, visite les Chinois, trouve et ne trouve pas la bière Skol qui m’épargne les cauchemars, obtiens de la Corona mexicaine, dors dans un lit-bateau souple et douillet, prend vers dix heures le matin le petit-déjeuner-buffet en salle aussi loin que possible du couple de nègres incontournable qui fréquente désormais toutes nos surfaces de vie et trouve sortant d’un Uber ma fille Luv sur l’aire de parking. Le temps de transférer dans le coffre du 4x4 les habits dont elle a fait emplette durant les trois mois de formation étudiante qu’elle vient de faire à Madrid, nous prenons la route en direction de Saragosse via la R9, cette formidable “autopista” pour riches qui se paie dans l’ordre des péage — au nombre de trois — Euros, 0,60, Euros 0,60 puis Euros 3,50 mais autorise le payeur à rouler à 180 km/heure ce qui, même pour moi qui n’aime ni les voitures ni la conduite, confère une sensation éphémère de liberté plus que nécessaire en ces temps d’esclavage. Arrêt sur le plateau de Guadalajara au milieu des bancs de brume dans un café plastifié pour remplir le réservoir et manger un morceau de tortilla, je constate que le café offre à l’achat, sur un grand présentoir de carton, des livres assortis de critiques écrites à la plume et trombonnées en page de couverture. Peu après cette halte, nous manquons mourir sur un lacet de descente en direction de Calatayud lorsque le camionneur assoupi d’un 15 tonnes nous frôle (j’ai alors la glissière à dix centimètres de la carrosserie). Avant la nuit, nous sommes à Puente où je fais des commissions dans le supermarché zombie puis c’est l’entrée dans le village où à peine sorti du véhicule nous salue l’ami Jésus occupé comme à son habitude à fumer sur la place du village l’une des soixante cigarettes qu’il aspire quotidiennement. Juste après, de retour à la maison, je vois que la chaudière que je viens pourtant d’allumer cale et s’éteint, ne se rallume pas, reste froide et qu’il va falloir carburer au bois, appeler Victor, l’excellent plombier des plomberies Sanari, qui répondra ou ne répondra pas, viendra ou ne viendra pas, et ainsi commence Noël.