Sur la route qui est déserte plus de trois cent jours par année, des milliers de voitures pare-chocs contre pare-chocs. Ce sont les citadins qui depuis le début de l’hiver trépignent à l’idée de quitter les villes saturées pour gagner la montagne et profiter du large. De même que dans La Monadologie Leibnitz établit que le corps est pour l’esprit la résultante d’une vision grossière de l’univers, quelque soit la nature objective de l’espace le citadin évolue dans l’univers grossier qu’il produit.
Mois : décembre 2021
Rêve
Multipliant les signes d’amitié envers un homme que j’espère ne pas revoir je lui promets une copie de mes meilleurs vinyles. Preuve de bonne volonté, je note sur un morceau de papier mon adresse mail mais j’échoue à former correctement les lettres, recommence, biffe encore. “Un problème?” demande l’homme. ‑Oui, je n’habite nulle part.
Grippe 2022
Les gouvernements au diapason donnent l’ordre à leurs peuples de “rester assis”. Ce qui rappelle l’album visionnaire de Edgar P. Jacobs dessiné en 1960, Le piège diabolique. Projeté par la machine temporelle dans le Paris des années 2020 (de mémoire), Mortimer perdu dans les couloirs désaffectés du métro éclaire de sa torche ce message écrit dans un français enfantin: “mieu vaut mourir debout que vivre à genous”.
Grippe 2022
Avant tout une reconversion de l’économie. Chaque jour étonné que les citadins qui avancent masqués dans les rues de leur ville ne voient pas le rapport entre l’état de catastrophe fictionnel entretenu par les médias au pouvoir et la fermeture des restaurants, commerces, théâtres sous l’effet des interdits et des faillites.
Neige
Au pied des pistes en ce jour de veille des fêtes. Luv admire l’immeuble couleur rouille qui sert de bâtiment unique à la station. Taillé comme une montagne alpine, il est en tôle ondulée et pourvu de balcons de vitre afin que la neige glisse sur la façade. En partie basse, la galerie commerçante — cette utopie des années Baudrillard — est à l’abandon. La plupart des télésièges roulent. Comme chaque année, le garage Francisco de Puente montre son nouveau modèle Ford. Il trône tel un bonbon géant au milieu des skieurs, sur un piédestal de velours. Nous prenons de la bière au bar, sortons sur la terrasse. Les employés de la station démarrent la déneigeuse. Des trombes blanches sont évacuées par les airs contre un grand sapin. Les collègues du machiniste apportent des tables, des chaises, des poubelles. La saison débute demain avec l’arrivée attendue des familles de Saragosse et Bilbao. Pour l’instant, où que l’on regarde, on ne voit qu’un ou deux skieurs qui dévalent les pistes larges et plates. Hélas, à peine de retour à Agrabuey, le ciel se voile, les collines transpirent une drôle de grisaille qui a vite fait de retomber en pluie. L’orage marque un répit, mais dès l’aube les températures remontent, il pleut. De retour d’une excursion en raquettes, mon voisin le guide dit que la route est chargée, signe que les citadins affluent pour les vacances des Rois mais que nombre d’autres, désolés, annulent leur location. Au village, l’ambiance est différente de ce qu’elle fut ces deux dernière années; c’est presque le régime normal, voisins connus aux trajectoires connues, gîtes en attente de clients.