Admirable façon d’écriture qui permet de faire un texte d’essai au fil de la réflexion sans se perdre ni pontifier et qui tient à l’existence chez l’auteur d’une culture profonde et travaillée; elle rend ses effets que servent par ailleurs une conviction nette et une expression ferme. Disant cela, je pense à ces humanistes prononçant des discours d’opinion dans le siècle passé (je les lis): Koestler, Lorenz, Bernanos ou Nizan.
Mois : octobre 2021
Après
A ces chiffrages, courbes, mesures de l’effort, je ne connais rien donc je n’y ai pas même songé (pourtant, sur les conseil des amis j’ai toute la bastringue électronique du cycliste moderne afin de robotiser cerveau, corps et cœur), mais voilà, j’étais amolli, incertain, peu capable, sinueux donc quelque peu inquiet et maintenant je vois ce que c’était, je me vois: ce vendredi, sept jours après la fin des 1250 km, solide comme la pierre — fin de récupération, pas nécessaire si l’on roule à l’infini, mais qui le devient, nécessaire, si l’effort cassé, l’on fait son retour dans l’autre rythme, celui de la vie reposée et fixe et appareillée à l’horloge universelle.
Beauté
Ce calme extraordinaire dans Agrabuey. Le ciel est limpide. Plus vaste. C’est l’automne. L’un des plus beaux jours de l’année ce samedi. Flux et reflux des personnes de l’extérieur: c’est étrange, elles viennent en fonction du calendrier, toutes ensemble et repartent de même, toutes ensemble. Avec le paysan, comme deux larrons en foire: je pousse un nez hors la maison, je demande: “Ils sont repartis?”. Il approuve. Alors seulement nous sortons dans la rue pour profiter du jour, de l’automne, du frais soleil.
Scissiparité
Illusoire le projet (qui ne fut jamais celui d’aucun peuple, le peuple sachant par l’effet du droit naturel la vérité que je vais énoncer) de convivre avec des individus importés de pays pré-révolutionnaires, Afrique, Asie. Ils sont, en tant qu’individus, collectifs, c’est à dire membres inaliénables d’un groupe, familial, amical, communautaire. Dans la confrontation, quand ils meurent, le groupe survit, quand nous mourrons, nous mourrons.
Madrid aller-retour (1250 km) IV
Fermes de cochons sur les causses. Pas de paysan. Les routes finissent dans le ciel. Parfois une ligne de chemin de fer F.F.C.C, Madrid-Saragosse ou Tolède-Pampelune (en espagnol, le pluriel est indiqué par le redoublement de la majuscule; ici: les chemins de fer). Cela ne dit pas la direction, d’ailleurs il n’y a pas de train. Je guette les fontaines. Quand il s’en trouve une, je remplis trois litres d’eau. Peu après, je guette à encore les fontaines. Il fait chaud et sec, je ne cesse de boire. Désormais les journées sont bien organisées. Je vérifie le matériel à dix heures et m’élance. Quatre heures plus tard, à chaque approche de village, je fais le pari d’un restaurant. L’affaire est sérieuse: impossible de rouler cent à cent quarante kilomètres sur un vélo ainsi lesté sans avaler du solide; ou alors on est fort, ou alors on aime souffrir. A partir de 1991 et le chemin de Saint-Jacques au départ de Bayonne, j’ai traversé une neuf fois la France. Partout il y avait des bistrots de routiers (bols de salades et vin partagés) ou des restaurants de voyageurs de commerce (nappes amidonnées). Ils ont disparu. Ces enseignes Pizza et Snack qui constellent les façades des bourgs de France sont un drame: la nourriture vraie à déserter. Pas en Espagne, du moins pas pour l’instant, car le faux virus à poussé à la fermeture des milliers de lieux. Je trouve toujours des “menus”, mais cela demande un effort. C’est aussi que les Espagnols continuent de gagner les villes, et le pays se vide. Plus de la moitié des habitants sont serrés dans trois capitales. De là ces routes silencieuse, ces fermes sans activité ou ce tracteur qui laboure une surface grande comme la lune. Donc je suis à Jadraque, dans la Manche et nous sommes samedi, le menu est spécial, ce qui veut dire plus luxueux et plus cher. Le cuisinier sert de l’agneau dans une salle qui réunit les familles d’agriculteurs de la région. Sensation agréable, je ne connais personne, alors que tous, à l’entrée de la salle, reconnaissent, saluent, embrassent, vont aux nouvelles. Pour moi, ce sera la suite du programme, la même toujours, sans sourciller: le café bu, je remonte aussitôt à vélo et pédale quatre à cinq heures de plus, cherchant si j’arriverai à Madrid le lendemain comme attendu. Ce soir, je dors une fois de plus à Guadalajara, cette ville-dortoir où s’entassent les travailleurs pendulaires. Une fête a lieu sur l’esplanade du marché. Un mauvais DJ orchestre. Des danseurs pitoyables dansent. Tous se donnent de la joie. Cela comme un film, qui ne prend pas. De retour à l’Hôtel, un Colombien insiste pour me faire venir dans ses Andes, griffonnant son numéro de téléphone sur un morceau de papier, me le fourrant dans la main: “appelle-moi, tu pourras monter des cols de de huit mille mètres!”
Dé-dressage
Vertige du retour à soi produit par l’expulsion hors de la société tel que l’impose ces jours une poignée de malveillants nommés aux rôles directeurs par la foule abâtardie: un tel randonne, un autre étudie les semences, un troisième pratique le jeune, celui-là reprend la peinture ou la danse.