Je ne comprends pas. La conversation s’effondre. Pas la quantité de paroles ni la production, pas la diffusion toujours plus grande de mots, de phrases, de mauvaises musiques, mais le rapport inquiet, sympathique, ce rapport d’attention qui par l’amitié bâtissait des architectures volatiles dans l’ombre desquelles s’épanchait la civilisation. Cela est en voie d’effondrement. Cela s’effondre. La mesure intime suffit à vérifier l’état de catastrophe cérébral. Bon dieu, que l’on dise! Que chacun autour de soi cherche et déclare! Combien? Combien de conversations interrompues? Retombées, pourrissantes, décomposées, mortes? Pourquoi de toutes parts, à travers le monde, soudain tant de refus de nouer? Un drame est en cours. Si l’on espère freiner la barbarie, il faut multiplier les conversations, ajouter à la vie, parler sérieusement, parler à la façon des vieux Grecs et des maîtres allemands, fabriquer des conversations résistantes, importantes, les fabriquer lourdes de sens et difficiles et vivantes. C’est seulement par cette difficulté vitale que l’on retrouvera un homme, puis un autre homme, puis un troisième homme, ceux-là mêmes qui aujourd’hui, dans cette folie qui s’empare de la race, disparaissent, s’évanouissent laissant devant nos yeux, après effondrement, un terrain infertile couru par les fantômes de la civilisation.