Parti le ventre noué. Cent-cinquante kilomètres et deux kilomètres et demi de montée, cela semblait beaucoup, cela semblait trop. Ce qu’il s’agissait de vérifier: est-ce trop? Noué, dis-je, car avant de revenir à son point de départ, on s’en éloigne. Or, si d’aventure j’avais la fringale ou m’épuisais, trouver le moyen de rejoindre la voiture autrement qu’à vélo serait difficile — la contrée est déserte. A Ansó, un berger court derrière le vélo. Il me déconseille de poursuivre, “la route de Zuriza s’est éboulée!”. J’insiste. “Vous ne passerez pas, il m’a fallu grimper dans la montagne”. J’emprunte un détour. Cela rallonge le parcours , mais le berger m’a rassuré: il a énuméré des noms de villages avant de conclure “juste après, c’est la France”. Les cyclistes le savent, il faut se méfier des automobilistes, ils ne connaissent pas leurs distances. Effet porteur cependant, je suis rassuré. Et bien sûr, dois me rendre à la réalité: là où le berger annonçait 9 kilomètres de col, il y en a 33. Milieu d’après-midi, j’atteins la frontière. Sous les nappes de brouillard, un troupeau de vaches barre la route. Je zigzague. Plus loin, des chevaux. Côté français la station de ski de La-Pierre-Saint-Martin. Lieu que je reconnais, nous y sommes venus avec Monfrère en 2015, alors que nous roulions devant le peloton du Tour de France. Je mâche des figues, avale une rasade d’eau, passe un coupe-vent et me lance dans la descente. Ensuite, long plat. Le vélo tourne à quarante à l’heure. Je me répète: trop vite, tu vas caler. Je ne cale pas. Au pied du dernier col, je me répète: tu vas caler. Je ne cale pas. Fin de journée, je retrouve la voiture. S’il y avait beaucoup, il n’y avait pas trop et dans tous les cas moins que prévu: 100 kilomètres de distance et quelque deux kilomètres positifs.