Honte

Ren­tré de mon voy­age dans les pays de l’est pour par­ticiper à la plus grande com­péti­tion espag­nole de vélo en mon­tagne, il est peu dire que j’ai fait pâle fig­ure — j’ai renon­cé à pren­dre le départ. Il faut dire dans quelles cir­con­stances et con­fess­er ma honte. Toute la semaine j’ai par­fait mon entraîne­ment, grim­pant même sous la pluie des routes de 13% et 14%. La veille de la course, je pique ma tente au milieu de mille con­cur­rents sur un ter­rain de car­a­van­ing pro­vi­soire de S. Peu après arrivent du vil­lage  amis et voisins. Ensem­ble nous retirons les dos­sards, peaufi­nons la stratégie. Eux ren­trent dormir à la mai­son, j’avale des pâtes froides appuyé con­tre la voiture et bois de la bière avec des cyclistes Cata­lans. A minu­it, je me glisse dans mon sac de couchage. Autour de la tente, la fête se pour­suit. A cinq heure un quart, le ter­rain de car­a­van­ing se trans­forme ne champ de manœu­vres: les con­cur­rents débar­quent de toute l’Es­pagne, mon­tent les vélos, accrochent les dos­sards, mas­tiquent des bar­res de céréales, parta­gent du café dans la nuit. A sept heures, un coup de ton­nerre me réveille. Je sors une tête. Le ciel est plein d’é­clairs. Fidèle à ma con­vic­tion qu’en Espagne il ne pleur jamais longtemps je me ren­dors. Quelques min­utes plus tard, pluie dilu­vi­enne. Le vent fou­ette tente, la boue gicle sur la toile. Tête dehors, pour juger de la sit­u­a­tion. Grêle, pluie, éclairs et plus un cycliste sur le champ: remon­tés en voiture, ils scru­tent l’hori­zon à tra­vers le pare-brise. Je sors dans la nuit, je suis détrem­pé. Réfugié sous la porte de cof­fre des Cata­lans, je regarde ma tente valser au sol, mon frigidaire se cou­vrir de boue “Dans ces con­di­tions, dis­ent les Cata­lans, nous n’iront pas”. Légère accalmie. Je chauffe un café au sol. Mon nez ruis­selle, il fait 8 degrés. Nou­velle descente d’eau. L’une après l’autre les voitures quit­tent le champ. Les Cata­lans rem­bal­lent. J’en­voie un mes­sage aux amis du vil­lage. “Où êtes-vous?”. Pas de réponse. Je passe le cuis­sard, le mail­lot, com­mence d’ex­traire le vélo de la Dodge. La pluie aug­mente. J’en­lève le cuis­sard, le mail­lot. “On y va ou on annule?”. Pas de réponse. Un bon­net sur la tête, je me rends sur la ligne de départ. Quar­ante braves (sur un mil­li­er?) atten­dent dans le box des départs. Pas de vil­la­geois en vue. Il reste une demi-heure avant le coup de feu du départ (le min­i­mum pour s’équiper). La pluie redou­ble. J’en­voie un autre mes­sage. Pas de réponse. Entre temps, les Cata­lans ont décam­pé. Les cyclistes qui ont passé la nuit en car­a­vane se pho­togra­phient le pouce en l’air et quit­tent la ville. Je fais de même. Roule sur un chemin de boue, à tra­vers un pré et une urban­i­sa­tion, suis rabat­tu par un vig­ile, dirigé par un polici­er. Arrivé à  la sor­tie de S.  le télé­phone sonne: “Où es-tu? Nous déciderons dans une heure si nous prenons le départ.”. J’es­saie de rejoin­dre le groupe au Café Pire­naí­co en déchiffrant le plan de sit­u­a­tion que me trans­met Juan. Et me retrou­ve sur l’au­toroute entre deux bus-bal­ais, suivi d’un cortège d’am­bu­lances, inca­pable de déboîter, à emprunter la route du retour. Or à midi, j’ap­prends que les autres ont pris part à la com­péti­tion, qu’ils n’ont pas essuyé une goutte de pluie, que c’est main­tenant l’heure de dévor­er des côtes de bœuf pour célébr­er l’ex­cel­lent temps réalisé.