Restoran Fortuna, à la croisée des routes bosniaques et monténégrines. Dana la patronne rêve de revoir Lausanne. Elle se souvient de sa promenade sur les bords du lac il y a trente ans. Hormis les monastères dont toutes sortes d’images sont affichées dans l’entrée de la salle à boire, elle semble surtout s’intéresser aux lacs. Lorsqu’elle trace du doigt des destinations possibles pour la suite de notre voyage, toute amènent à des lacs. Peut-être est-ce par dépit: le lac de Bileca qui s’ouvre sous ses pieds, devant le Restoran, est laid, terreux et flanqué de berges impraticables. S’il y a jmais eu des cafés, ils ont glissé dans l’eau. L’auberge-restaurant est tout aussi hasardeuse dans sa construction. Donc peu touristique. Tordue, grisâtre, dépeinte, repeinte, abandonnée, reprise. Au demeurant fort sympathique. Je m’y sens bien. N’était-ce le chien. Celui qui aboie sans discontinuer. Après notre première nuit, Evola interroge la patronne. “Oui, admet-elle, c’est un problème”. Ce qui laisse supposer qu’elle va résoudre le problème. Aucunement. Deuxième nuit, même cauchemar. Ici, pas de littérature: ce chien, petit et jeune et noir, aboie sans discontinuer. Le matin, Evola va le voir. Le chien s’arrête d’aboyer. Bondit comme un cabri. Pleurniche et joue. Evola s’éloigne, il se remet à aboyer. “Il n’a pas mangé, il est attaché”, me dit-il. A la fin de la journée, je crois avoir une hypothèse: le voisin l’a attaché à la limite de notre propriété pour punir la patronne du Restoran Fortuna.