Est 17

Longue prom­e­nade dans les rues de Sofia. Habi­tants aimables, calmes, résignés. En dehors du cen­tre mon­u­men­tal, ses bâti­ments admin­is­trat­ifs et ses basiliques, les immeubles ont l’air de tartes affais­sés et sales. Pour la déco­ra­tion, des couch­es de graf­fi­tis. Beau­coup de chiens et de mag­a­sins pour chiens. Des clochard­es fouil­lent les poubelles, les ménagères trans­portent des cabas d’al­i­men­ta­tion, les hommes fument, con­duisent, pérorent, per­son­ne ne sem­ble avoir d’ac­tiv­ité définie. Les habi­tants se promè­nent, s’as­soient, se relèvent, se promè­nent. Comme moi. Passe un tramway jaune. Un autre est vert. Des jou­ets. L’u­nique wag­on freine devant un car­refour. Les roues de métal crissent. On dirait que le con­duc­teur arrête sa machine avec la semelle de sa chaus­sure. Je jette un œil aux pas­sagers. Des gens seuls, ils regar­dent devant eux. Gar­dent le silence. Atten­dent. Le wag­on s’ébran­le. Une cloche reten­tit. Les voitures déga­gent la voie. Le tramway accélère. Au loin se trou­vent ces immeubles blancs-gris avec le linge qui pend le long de la façade. Entre deux take-away améri­cains, dans un jardin jonché de détri­tus un anti­quaire vend des copies renais­sance, un ange doré et un ser­vice à thé en argent lourd. Le dessin est des années 1950, type mod­ern-style. Le vendeur demande 150 Euros. Je reviendrai. Puis cette décou­verte, une anci­enne galerie marchande de l’époque Tcher­venkov. Acces­si­ble par un pas­sage sous immeu­ble elle aligne une quar­an­taine de bou­tiques et deux cours où sont instal­lées des cafés. Le pla­fond est bas, les néons brisés, l’at­mo­sphère évoque le train-fan­tôme, la grotte, la con­spir­a­tion, l’ar­ti­sanat, le clan, le ter­ri­er — on trou­ve des con­struc­tions iden­tiques en Espagne, ves­tiges de la péri­ode fran­quiste. Dans les cours, des fontaines de pierre maçon­nées. L’eau du robi­net est audi­ble à plusieurs mètres. Par­mi les com­merces, un répara­teur d’hor­loges, un tra­duc­teur instan­ta­né, une mer­cerie, un salle de backgam­mon et une bou­tique de vielles stéréos (Marantz, Sony, Fis­ch­er) et de vinyles rock (pres­sion bul­gare d’un album de May­hem). Pour le reste, je ne peux racon­ter ici dans quelles con­di­tions nous avons franchi la fron­tière macé­dono-bul­gare, mais le douanier, les douaniers, l’in­fir­mière et le médecin, après délibéra­tion, ont pris pour mon­naie comp­tant notre expli­ca­tion et nous ont lais­sé passer.