Longue promenade dans les rues de Sofia. Habitants aimables, calmes, résignés. En dehors du centre monumental, ses bâtiments administratifs et ses basiliques, les immeubles ont l’air de tartes affaissés et sales. Pour la décoration, des couches de graffitis. Beaucoup de chiens et de magasins pour chiens. Des clochardes fouillent les poubelles, les ménagères transportent des cabas d’alimentation, les hommes fument, conduisent, pérorent, personne ne semble avoir d’activité définie. Les habitants se promènent, s’assoient, se relèvent, se promènent. Comme moi. Passe un tramway jaune. Un autre est vert. Des jouets. L’unique wagon freine devant un carrefour. Les roues de métal crissent. On dirait que le conducteur arrête sa machine avec la semelle de sa chaussure. Je jette un œil aux passagers. Des gens seuls, ils regardent devant eux. Gardent le silence. Attendent. Le wagon s’ébranle. Une cloche retentit. Les voitures dégagent la voie. Le tramway accélère. Au loin se trouvent ces immeubles blancs-gris avec le linge qui pend le long de la façade. Entre deux take-away américains, dans un jardin jonché de détritus un antiquaire vend des copies renaissance, un ange doré et un service à thé en argent lourd. Le dessin est des années 1950, type modern-style. Le vendeur demande 150 Euros. Je reviendrai. Puis cette découverte, une ancienne galerie marchande de l’époque Tchervenkov. Accessible par un passage sous immeuble elle aligne une quarantaine de boutiques et deux cours où sont installées des cafés. Le plafond est bas, les néons brisés, l’atmosphère évoque le train-fantôme, la grotte, la conspiration, l’artisanat, le clan, le terrier — on trouve des constructions identiques en Espagne, vestiges de la période franquiste. Dans les cours, des fontaines de pierre maçonnées. L’eau du robinet est audible à plusieurs mètres. Parmi les commerces, un réparateur d’horloges, un traducteur instantané, une mercerie, un salle de backgammon et une boutique de vielles stéréos (Marantz, Sony, Fischer) et de vinyles rock (pression bulgare d’un album de Mayhem). Pour le reste, je ne peux raconter ici dans quelles conditions nous avons franchi la frontière macédono-bulgare, mais le douanier, les douaniers, l’infirmière et le médecin, après délibération, ont pris pour monnaie comptant notre explication et nous ont laissé passer.