Mois : juin 2021

Visites

Chaque jour de la semaine étant un jour comme les autres, témoin de la lib­erté com­plète que j’ai devant le cal­en­dri­er et la récep­tion du temps, j’adapte désor­mais mes rythmes heb­do­madaires à celui des voisins de Saragosse qui pos­sè­dent ici rési­dences sec­ondaires, arrivent le ven­dre­di, repar­tent le dimanche, et con­state après les excel­lents moments d’ami­tié que favorise leur présence, com­bi­en je retrou­ve avec plaisir le silence et le néant. 

Mouches

Tra­vail métic­uleux d’ap­po­si­tion des mous­ti­quaires devant les fenêtres car les mouch­es gris­es comme chaque année défer­lent par mil­liers et aga­cent les nerfs. Elles restent une semaine puis revi­en­nent en septembre.

Hier samedi

Précédé de trois enfants de douze, onze, dix ans, mon­té avec la pale­frenière, l’ar­chi­tecte et son mari employé de l’u­sine Tetra Pak à tra­vers les bois au Cubi­lar, un refuge des con­tre­forts pyrénéens où nous atten­dent les autres familles, venues elles en jeep, au milieu de trente vach­es et d’un tau­reau. Dans la poêle munic­i­pale plus large qu’un soleil le cham­pi­on cycliste du vil­lage, juste revenu de son ascen­sion mati­nale, cui­sine une pael­la pour vingt per­son­nes, que suiv­ent la par­ti­tion des pastèques et le match de foot dans l’herbe haute. 

Nouvelle vague

Regarder en ligne un film acheté sur le réseau d’une multi­na­tionale équiv­aut pour un pois­son d’aquar­i­um à regarder un reportage sur les pois­sons d’aquarium.

Vote

Jour de honte pour la démoc­ra­tie. “Voulez-vous renon­cer à vos droits?” Plus de deux tiers des imbé­ciles du pays des Suiss­es (avec qui nous aurons désor­mais à vivre) ont répon­du “oui”. 

Animation

Mil­liers d’ar­cades com­merçantes vides dans les cen­tres-villes: les met­tre à dis­po­si­tion des groupes pour leur répéti­tions et con­certs: le pub­lic se tient sur les trot­toirs, danse sans pay­er, jouit sans pay­er, fête et boit sans que la grande dis­tri­b­u­tion rançonne. Et puis cela met de la musique dans la cité-machine.

Littérature

Tous les écrivains écrivent. Cer­tains par­lent. Ceux qui réus­sis­sent sont ceux qui ont appris à se taire.

Argent

Mon grand-père me glis­sait dans la main des pièces de Fr. 5.-. Je n’ai jamais su com­bi­en cela valait, mais j’é­tais impressionné.

An 2 (XXXVII)

Les naïfs ou pour faire vieux jeu les Salauds de Sartre, dont cer­tains étaient encore hier matin des amis dis­ent: “rien ne change”, expres­sion indus­trielle qui recoupe l’e­spérance d’un “retour à la nor­male”. Etrange pour des gens qui ont été for­més comme nous le sommes tous à l’idée de pro­grès. Con­sta­tons que, sauf dans le para­doxe de Zénon, le truc de la flèche, rien n’est jamais immo­bile et que de mémoire humaine, rien jamais n’est revenu (pas même le Seigneur). Mais alors quoi? Se ras­sur­er en un tourne­main, voilà qui n’est plus de la naïveté, mais de l’im­bé­cil­lité. Dis­ons-le, per­son­ne ne sait prévoir. Donc anticiper. Je ne prévois pas, je n’an­ticipe pas. Pré­ten­dre le faire sig­ni­fie sim­ple­ment que l’on impose quelque chose à quelqu’un et que ce quelque chose, dès lors qu’on l’im­pose, est antérieur au moment de l’im­po­si­tion. Il suf­fit d’a­jouter : “je savais”. (les vac­cins sont sans rap­port avec le virus, il exis­taient avant lui). Si comme moi, comme vous, les imbé­ciles n’an­ticipent pas, c’est que nous sommes des per­son­nes bien faites mais lim­itées et que par ailleurs, étant à peu près sains, nous ne cher­chons pas à impos­er. Mais voilà, si je dis “imbé­ciles” en par­lant des naïfs c’est qu’ils répè­tent “rien ne change” alors que déjà — un coup d’œil suf­fit à le con­stater —  tout est changé.

An 2 (XXXVI)

Si la terre était plate et infinie, il n’y aurait pas de prob­lème (ni d’hu­man­ité). Ceci pour dire qu’elle est finie et ronde, donc de plus en plus petite. Sous peu quelqu’un dira: “voyez, je la tiens entre mes mains!”