Chaque jour de la semaine étant un jour comme les autres, témoin de la liberté complète que j’ai devant le calendrier et la réception du temps, j’adapte désormais mes rythmes hebdomadaires à celui des voisins de Saragosse qui possèdent ici résidences secondaires, arrivent le vendredi, repartent le dimanche, et constate après les excellents moments d’amitié que favorise leur présence, combien je retrouve avec plaisir le silence et le néant.
Mois : juin 2021
Hier samedi
Précédé de trois enfants de douze, onze, dix ans, monté avec la palefrenière, l’architecte et son mari employé de l’usine Tetra Pak à travers les bois au Cubilar, un refuge des contreforts pyrénéens où nous attendent les autres familles, venues elles en jeep, au milieu de trente vaches et d’un taureau. Dans la poêle municipale plus large qu’un soleil le champion cycliste du village, juste revenu de son ascension matinale, cuisine une paella pour vingt personnes, que suivent la partition des pastèques et le match de foot dans l’herbe haute.
Animation
Milliers d’arcades commerçantes vides dans les centres-villes: les mettre à disposition des groupes pour leur répétitions et concerts: le public se tient sur les trottoirs, danse sans payer, jouit sans payer, fête et boit sans que la grande distribution rançonne. Et puis cela met de la musique dans la cité-machine.
An 2 (XXXVII)
Les naïfs ou pour faire vieux jeu les Salauds de Sartre, dont certains étaient encore hier matin des amis disent: “rien ne change”, expression industrielle qui recoupe l’espérance d’un “retour à la normale”. Etrange pour des gens qui ont été formés comme nous le sommes tous à l’idée de progrès. Constatons que, sauf dans le paradoxe de Zénon, le truc de la flèche, rien n’est jamais immobile et que de mémoire humaine, rien jamais n’est revenu (pas même le Seigneur). Mais alors quoi? Se rassurer en un tournemain, voilà qui n’est plus de la naïveté, mais de l’imbécillité. Disons-le, personne ne sait prévoir. Donc anticiper. Je ne prévois pas, je n’anticipe pas. Prétendre le faire signifie simplement que l’on impose quelque chose à quelqu’un et que ce quelque chose, dès lors qu’on l’impose, est antérieur au moment de l’imposition. Il suffit d’ajouter : “je savais”. (les vaccins sont sans rapport avec le virus, il existaient avant lui). Si comme moi, comme vous, les imbéciles n’anticipent pas, c’est que nous sommes des personnes bien faites mais limitées et que par ailleurs, étant à peu près sains, nous ne cherchons pas à imposer. Mais voilà, si je dis “imbéciles” en parlant des naïfs c’est qu’ils répètent “rien ne change” alors que déjà — un coup d’œil suffit à le constater — tout est changé.