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Départ pour la Suisse, un crève-coeur. Sor­tir du vide quand on est seul, c’est à dire en bonne com­pag­nie, demande un effort. Passé le tun­nel inter­na­tion­al, j’amorce la pente qui amène à Tarbes. Pre­mière bonne nou­velle du voy­age, pas de four­gon de police devant la France. Trente kilo­mètres plus loin, je déchante: douze civils bar­rent la route. Ils sont si peu déguisés que j’ai un doute. Unique mar­que d’ap­par­te­nance à l’E­tat, un bras­sard orange bar­ré du mot “douane”; inutile de dire, je suis par­ti­san de l’u­ni­forme, que l’on sache qui est qui. Ils font ouvrir, je descends, ils fouil­lent. L’or­gan­i­sa­tion — je com­mence à avoir de l’ex­péri­ence — sem­ble partout la même. Un fort à bras vous sur­veille (“les mains hors des poches, Mon­sieur!”), tan­dis qu’à l’ar­rière-plan les anciens ouvrent les con­tenus. Désa­van­tage évi­dent, la voiture. Mod­èle rare, gros gabar­it, gros prix. Après arresta­tion cela tourne cepen­dant à l’a­van­tage car à chaque fois les hommes veu­lent savoir le nom­bre de chevaux-vapeurs, la cylin­drée et la taille du réser­voir. Je n’ai pas réponse à tout et cela fait de la con­ver­sa­tion. Puis il y a l’au­to­col­lant de la légion étrangère espag­nole con­tre la plaque d’im­ma­tric­u­la­tion avec ce slo­gan “Légionar­ios, a luchar, a morir”: mon crédit aug­mente. Pour l’oc­ca­sion, le chef va jusqu’à fer­mer les yeux sur l’ex­cès de vin et je repars. En fin d’après-midi, je suis à Sète. Ce que la dit la plaque munic­i­pale, “Sète”, car l’hô­tel plas­tique se trou­ve entre un gira­toire, un sec­ond hôtel en plas­tique et un super­marché géant. Depuis que j’ai instal­lé le frigidaire dans la voiture, avant toute autre activ­ité (acheter des fro­mages, paress­er devant la télévi­sion), je vide deux litres de bière. Le temps le per­met, je m’assieds en ter­rasse. Soit devant une table de métal qui donne sur un park­ing. Arrive un cou­ple. Pas “bon­jour”. Un nain à moto. Pas “bon­jour”. Un jeune ouvri­er de GRDF qui assure la per­ma­nence de nuit et tient son QG dans une des cham­bres de plas­tique. Il s’assied à une table de fer, ouvre son portable, pian­ote. Quand il a épuisé les pian­o­tages, nous par­lons. Sa mis­sion, le mau­vais temps, la mal­adie virale, et bien sûr la con­som­ma­tion de la voiture, les cylin­drées, les chevaux. Nous rejoint le ten­ancier de l’hô­tel. Il remar­que mon vélo couché à l’ar­rière, par­le de VTT. Il monte à l’élec­trique et descend à fond. Là, il se remet d’un coma. Le deux­ième jour de route, suite du rit­uel. Pren­dre de l’essence au super­marché, mau­vaise mais moins onéreuse, se lancer sur l’au­toroute du soleil, écouter de la folk, de l’am­bi­ent et, petite nou­veauté, Two Med­i­cines qui sem­ble être le groupe héri­ti­er du génial Midalke, puis pren­dre son souf­fle avant de tra­vers­er à l’en­trée de Genève le sys­tème douanier tech­no-sci­en­tifique de Bar­don­nex où, au milieu de cen­taines de Français tra­vailleurs qui pénètrent sur le ter­ri­toire suisse, l’équipe de ser­vice fédérale (inté­grée par des Français) me con­damne à pass­er par tous les fil­tres de l’ad­min­is­tra­tion allant jusqu’à men­ac­er de me con­fis­quer le véhicule si je ne présente pas mon per­mis (que je repars sans avoir présenté).