Mois : avril 2021

Chaque jour si dif­férent quoique répété. Je songe ici aux hommes du grand encadrement, moines ou mil­i­taires, dont on se demande com­ment ils trou­vent à jouer dans la vie quo­ti­di­enne, en dépit de la dis­ci­pline, toute la gamme des émo­tions. Mais je songe encore à cha­cun d’en­tre nous, tra­ver­sé par des sen­ti­ments et sen­sa­tions dif­fi­ciles à com­pren­dre ou à cir­con­scrire, tout à fait impos­si­bles à repro­duire, surtout quand on s’y efforce pour racheter mal­adroite­ment un moment de dés­espoir. Infinies sont les sin­u­osités émo­tion­nelles par lesquelles nous tran­si­tons et gages du sub­til fonc­tion­nement de la vie qui nous échoit.

Temps gris: une pluie fine mouille les pins, des nuages couleur plomb sont arrêtés au-dessus de la val­lée. Same­di après une sor­tie de 70 kilo­mètres à vélo, je tra­ver­sais la ville, mais impos­si­ble de faire halte au super­marché pour ma com­mande de deux cents deux litres de Skol,  mon voisin que je recon­dui­sais au vil­lage était atten­du pour lancer un bar­be­cue. Aujour­d’hui lun­di, à l’heure de la sieste, je monte en voiture et vais chercher ma livrai­son. Grand calme dans les rues du cen­tre. Devant le super­marché Min­isu­per, un camion jaune décharge des Donuts jaunes par cen­taines. La vendeuse Eri­ka, galurin estampil­lé sur le front fait signe: “laisse la voiture au milieu de la route, je vais cherche ta bière!”. Tan­dis qu’elle organ­ise le trans­port depuis son stock, j’achète des bross­es à dents et des côtes d’ag­neau. La voici sur le trot­toir qui roule les dix-sept paque­ts de six bouteilles et comme d’habi­tude plaisante sur mon cof­fre: “il est géant!”. Pourquoi les adultes par­lent-ils de choses aus­si insignifi­antes? me demandais-je ado­les­cent. La pluie, la tem­péra­ture, les nuages, la taille du cof­fre (la vendeuse Eri­ka fait à chaque fois la remar­que). Lutte néces­saire de l’ado­les­cent con­tre le néant. Qu’il com­prend, qu’il entrevoit, qui l’ef­fraie. Et qu’il doit dépass­er. Il aimerait par­ler de la mort. Puis com­prend ce que sig­ni­fient ces pro­pos insignifi­ants. A quoi ils ser­vent. Signe qu’il a vain­cu et peut entr­er dans la vie. Même par un jour de pluie et de nuages bas. 

Se dire, se répéter: “voilà ce qui va arriv­er”. Le croire. Assez pour le dire, le redire. Quand cela se pro­duit, con­stater que ce n’é­tait qu’une pos­si­bil­ité néfaste, envis­agée comme le pire des scé­nar­ios, afin de se pré­mu­nir. Une croy­ance. Que sous le régime de la croy­ance, le dés­espoir causé par la pos­si­bil­ité de l’événe­ment était mod­ulé par l’idée con­comi­tante que cela ne se pro­duirait pas. Désor­mais il n’y a plus à espér­er: cela est advenu — c’est réel. 

Sur les parois vert épinard du Fron­ton (il y a influ­ence basque), les enfants du vil­lage ont dess­iné à la craie blanche, grandeur nature — avec une échelle? — une sta­tion-ser­vice, une super­marché, des toi­lettes hommes-femmes et, con­tre le mur qui fait face, un bar.

 Il est mort en glis­sant sur un dictionnaire.

La guerre sert à défendre ou redéfinir les lim­ites d’un ter­ri­toire et le droit d’ac­cès à ses ressources. En temps de paix, l’ad­min­is­tra­tion est l’ap­pareil qui assure la con­ti­nu­ité des lim­ites du ter­ri­toire et régle­mente l’ac­cès à ses ressources. Ain­si sommes nous con­fron­tés (avec les ten­ta­tives d’in­tro­duc­tion par des instances supra­na­tionales non-élues de critères juridiques con­traig­nants con­di­tion­nant l’ac­tion des indi­vidus) à une sit­u­a­tion inédite: la régle­men­ta­tion en temps de paix et par des moyens guer­ri­er de l’ac­cès aux ressources d’un ter­ri­toire pour ceux qui de fac­to l’oc­cu­pent et assurent sa viabilité.

Les femmes se deman­dent ce qu’elles font en ce monde tant qu’elles n’ont pas mis au monde. Les hommes se le deman­dent de la nais­sance à la mort et ne trou­vant aucune réponse en appor­tent autant qu’ils peu­vent, des meilleures et des pires, ce pourquoi le monde — du moins avant que l’on parvi­enne à neu­tralis­er la sex­u­al­ité et appareiller le corps du vivant avec la machine — sera tou­jours sous le con­trôle des hommes. 

 Se lever, ce n’est rien, mais songer qu’il va fal­loir se lever, c’est pénible.

Ce notaire buvait. Matin, midi et soir. Ce qui ne l’empêchait ni de tra­vailler, ni de rem­plir son rôle de père et de mari. Aujour­d’hui, il a cessé de boire. Il rame et rame, et rame. A la mai­son, au gym­nase, les week­ends. Ce qui ne l’empêche ni de tra­vailler, ni de rem­plir son rôle de père et de mari 

Si j’avais suivi un chemin tracé, et il en existe dans chaque domaine donc dans la lit­téra­ture, j’au­rais aimé me con­sacr­er sur le tard au tra­vail de la déf­i­ni­tion; rien de plus grat­i­fi­ant que d’ad­join­dre à un terme indéter­miné ou mal déter­miné une déf­i­ni­tion que l’on crée, améliore et livre au pub­lic pour usage.