Fini cet après-midi le roman d’anticipation. Très peu anticipateur. Le temps qu’il soit publié, il sera dépassé. Dix jours d’un travail d’écriture intense et tranquille. Ces derniers jours, au jardin, au soleil, les pieds dans la neige. Un peu halluciné tout de même: dernière phrase et date griffonnés dans le quatrième cahier, je sors de la maison les lunettes de vue remontées sur le front. Le voisin guide et sa femme sont dans la rue, et leur enfant, dans le landau. Je me frotte les yeux. “Alejandro, tu dormais?”. Que non, j’écrivais. Depuis le réveil. La femme, “tu es sûr?”. Ce qui dit assez ma tête. Le décor mental était si solide (une avenue, des immeubles blancs, deux carrefours, une garderie d’enfants expérimentale), que je peine à rejoindre le réel. Comme pour le café, celui que je coule chaque matin en nourrissant d’eau et de grain la machine. Quand je réfléchis à la quantité d’eau utile pour six tasses, je me trompe, j’en mets trop ou trop peu. Lorsque je suis chloroformé, perdu, ensommeillé, je place le pot de verre sous le robinet, l’ouvre et le ferme sans y penser, le compte est bon. Pour le texte, quelques deux cent pages manuscrites, même phénomène: pas réfléchi. Fait que décrire ce que je voyais. Et maintenant? Dans cette société qu’écrase l’Etat? Il faut s’en aller. Mais où? Voilà le problème: il n’y a plus nulle part. Les espaces sont détruits, les corps enfermés. Avant privatisation.