Grand loisir à faire ce que l’on veut, tout le temps. Ce à quoi je m’adonne de longue date. Et depuis dix semaines, à la perfection. Mais cela dissout quasi tout espoir de société. La renvoie dans son temps et dans son espace, aujourd’hui ceux des villes, car je n’intègre pas — pas encore — le monde virtuel dans les possibilités de la rencontre vraie. Possibilités qui doivent d’ailleurs être repoussées autant qu’il se peut. Le jour où elles adviendront, villes et campagnes, hommes et femmes, identités et contre-identités auront été abolies. Nous communiquerons enfin dans l’absolu, qui est un néant.
Mois : janvier 2021
Bunker
Mettre fin au monopole de la critique quand il y a monopole de la critique, tâche improbable. Dont toute notre histoire a fait l’histoire. L’internet offre encore des positions de guérilla. Insuffisantes, nécessaires. Ce qu’a compris, bien compris le monopole. Qui plus que jamais ces jours privatise et intègre. Honte aux officiants du monopole!
Dimanche
Pluie froide sur Agrabuey. Avec la venue de l’après-midi la lumière baisse, je me me force à sortir. J’empoigne le bâton, passe les tas de vieille neige, arpente le sentier de la rivière. Plus loin, je renoue avec la route du val d’Arnaz. Les paysans de la ferme Gonzalez remuent du travail: le cadet porte le fumier, son aîné gronde les chiens de chasse, un troisième cure les cornes des moutons, ou des brebis — je ne suis pas expert. Mes corrections abandonnées, je ne fais qu’y penser. Parcouru le premier kilomètre, je songe déjà à rentrer. D’ailleurs j’ai la tête mouillée. Regagnant le village par le côté Sud, je trouve Juan Ramon, le professeur. Il étend de gros slips de coton sur le balcon. “Je sais, dit-il, ça sèche pas. J’ai tout ce qu’il faut dedans. Mais l’air, l’air!”. Au bout du raccourci, je croise dans notre rue deux randonneurs en habits techniques. Et mon voisin, le natif, l’authentique, le patriarche d’Agrabuey. Aux jeunes randonneurs, il indique la voie à suivre pour franchir la montagne et rejoindre l’autre vallée. Probablement a‑t-il renseigné tant de fois qu’il bâcle. J’accompagne le couple technique, montre le sentier entre les pins, parle de la couverture de neige, donne des détails. Nous évoquons la Suisse. Ils ont vu le jet d’eau de Genève, Berne et Chamonix. Trop longue cette conversation, elle m’aura fait prendre froid. A peine refermée la porte de la maison, je le sens: j’ai un début de refroidissement. J’avale une capsule croate, me frictionne au baume thaï, ouvre une bouteille de rouge et reprend les corrections du roman d’anticipation. Six heures plus tard, fin de l’effort, j’écoute Hunt The Dinausor et Wolf Down. Je suis bien content. De mon manuscrit.
Etoiles filantes
Groupes de rock, les pauvres. Je pense à eux. Cette voie sacrificielle. D’abord, les multinationales ont détruit le support disque, puis elles ont capté leurs titres pour les intégrer sur des plateformes d’abonnés. Pour continuer de payer les traites, les groupes ont multiplié les concerts. Tournées, partout, tout le temps. Voici l’urgence sanitaire, fermeture des scènes. “Venez-nous voir sur internet, clament les multinationales, nous avons des espaces à vous louer!”.
Routine
Travail suivi, volontaire, afin de mettre au propre le manuscrit du roman d’anticipation. Ne sachant pas taper sur un clavier, la nuque est baissée, bientôt douloureuse Fini à l’instant. Il neige, il fait nuit. Il fait froid, il pleut. L’autre nuit, il a fait des éclairs. Juste avant la mise au noir, je suis sorti marcher le long de la rivière avec mon bâton. Il faut aspirer un peu d’air. Au garage municipal, j’ai 106 litres de bière en réserve. Evola, Monfère et Monami arrivent à Agrabuey mardi. Hier, Jésus le charpentier a déposé 60 m² de planches de bois pour recouvrir l’entier des plafonds du bas. Toute la maison sent la résine. Problème, il sciera à partir de 9h30 le matin. Et encore, il a fallut négocier. Par ailleurs, mon système de piratage est tombé en rade; j’en suis réduit à regarder des films d’horreur; moins effrayant que notre situation, notre humiliation, notre réduction.