Loin de soupçonner à quel point l’activité imprime la mémoire, pèse sur elle, fait retour. Cette nuit, je me tourne et me retourne, perdu dans les méandres d’un rêve anxieux: un client m’a confié un affichage, les heures passent, le jour point, je n’ai pas commencé le collage. Monfrère paraît. Je le secoue: “il faut coller ces affiches tout de suite, c’était à ton tour de sortir!”. Me voici dans un ascenseur. La colle de poisson est au septième, dans des baquets, avec le pinceau, en attente. Il y a une femme dans l’ascenseur. Elle commande son étage, nous descendons. Je la supplie de monter. Elle m’ignore. Femme bourgeoise, vieillie, jeune, indifférente, sexuée, pleine d’attention pour mes déboires, nous sommes dans une ville côtière de la Nouvelle-Zélande. “Oui, remarque-t-elle, ici, depuis que nous sommes morts, nous parlons aussi le français et l’espagnol, mais je manque de temps, je dois promener Kéfir”. J’abaisse les yeux: un Téquel rouge. A part moi, je songe: impossible de rien entreprendre avec cette femme, elle a un chien. La porte de l’ascenseur s’ouvre, je pénètre dans une salle de restaurant capitonnée de velours rouge. Salle splendide et déserte. Le maître d’hôtel désigne une table proche de la vitre, la table donne sur la rue. La femme passe, et le chien et un couple de routards. “Ce sont les seuls habitants de la ville!”, me dis-je. Si je ne quitte pas aussitôt la Nouvelle ‑Zélande, personne ne s’occupera de cet affichage”, me dis-je. Et me voici de retour dans l’ascenseur, décidé à monter au septième, à récupérer la colle et les affiches. La femme est à nouveau là, la femme nous fait descendre. Je fouille mes poches à la recherche d’une solution, trouve un portable, il n’est pas à moi. “Mais oui, dit la femme, appelez votre frère, il doit être au septième à attendre!”. La coque n’est pas adaptée au portable. Elle est de tissu, bleue et chinoise, et mal faite, elle occulte l’écran. Sur mon genou, je casse le portable en deux, me débarrasse de la coque et vois que la femme a raison; elle rit et elle a raison: “là, vous ne pourrez plus jamais appeler!”. L’ascenseur descend.