Partis d’Espagne la nuit, franchissant le col Marie-Blanque, roulant à travers bois et vallées puis sur le splendide plateau du Benou aux paysages vert champêtre, nous rejoignons Lourdes et Argelès-Gazost. Sur le parking-caravanes de Pierrefitte-Nestalas, à trente kilomètres du Tourmalet, nous enfourchons les vélos. Enthousiaste, l’Avocat part trop vite. Le maire d’Agrabuey suit. Tout en cherchant à régler le rétroviseur que je porte attaché à mon casque, je m’accroche (il est huit heures, il fait déjà 25 degrés). Une heure en pente douce dépassés par les voitures des gens qui vont au travail. A Luz-Saint-Sauveur, début du col. Des cyclistes nous doublent. Nous les rattrapons. En 2015, lors de la traversée sud-nord des Pyrénées avec Monfrère, nous avions abordé le Tourmalet par l’autre versant; aujourd’hui j’ai proposé cette face et la variante Laurent Fignon (un crochet de 2,5 km) qui coupe les pâturages et surplombe la route principale. Depuis lundi, je m’inquiétais. La faute à mon voisin l’Avocat, sa fascination, ses adjectifs: “col mythique”, “le plus dur”, “un moment de vérité”… D’autant que j’avais beau fouillé ma mémoire, je ne retrouvais aucune image du premier franchissement. Aussi m’étais-je préparé de mon mieux ou plutôt j’avais pris soin de retrancher ce qui, dans le régime quotidien, convient peu au sportif, les quantités d’alcool, la nourriture désordonnée, le sommeil aléatoire. Et soudain, nous voici au sommet, devant le cycliste de bronze qui surplombe la plaque “Col du Tourmalet. Alt. 2115”, après 2h44 de montée tout de même, avec le sentiment que “c’était faisable”, ce que dément dès le lendemain le visionnement d’un court film sur l’ascension qui montre chacun des 19 kilomètres de route: tout concentré, tout à l’effort que j’étais, c’est à peine si je reconnais à l’écran les lieux courus la veille.