Mouvement 15

Belle journée immo­bile. Mon plaisir à dormir avant de rejoin­dre le jour aug­mente. La veille, j’aide la tra­ver­sée en l’ar­rosant de bière et de vin. Lorsqu’il est temps de s’aliter, j’avale de plus une cap­sule d’Omepra­zol dont Gala me vante les mérites depuis dix-huit ans. Quand je me réveille enfin, la lumière inonde. Je mets le café, en bois six tass­es et com­pile les infor­ma­tions du pou­voir, jour­naux de Genève, Paris, Paris, Fri­bourg, Madrid, Moscou, Rome, Mex­i­co et Bangkok. Ces jours, j’ai ajouté à mon par­cours matuti­nal (vers onze heures) Le petit jour­nal de Bir­manie, feuille des expa­triés fran­coph­o­nes de Ran­goun. Puis je rase mes rou­fla­que­ttes. Elles sont ridicules: j’en ai con­science, je les soigne. Il faut dire que je m’at­tarde en salle d’eau : depuis que j’ai fini d’écrire Naypyi­daw, la moti­va­tion a bais­sé, j’hésite quant à la dis­tri­b­u­tion de ma journée. Ce dimanche, j’é­tudie les straté­gies d’anonymi­sa­tion sur nav­i­ga­teur, j’ap­prends à utilis­er un logi­ciel de mon­tage vidéo pour débu­tants, je mets au pro­pre les pre­miers chapitres — dérisoires et voulus tels — de mon “agen­da naïf”, c’est son sous-titre, le livre est inti­t­ulé Vers Mont, une com­pi­la­tion des instants ici addi­tion­nés, dans notre bled mon­tagne, qui me fatigue et me fatigue, et me fatigue. Mais les enfants ont à appel­er. Le ren­dez-vous est con­venu — sur Skype. Or, nous avons à régler, entre père et fils et fille, parce que leur mère Olof­so a semé, depuis le début de l’en­zon­age, la gabe­gie, des prob­lèmes de respon­s­ablil­ité, de morale, d’ar­gent, bref, du pénible, du nébuleux, de l’adulte. Ce que je déteste. Et m’en­nuie. M’emmerde. Temps per­du. Même quand on rien à faire, inutile. Dans l’at­tente, je sors, vais au sana­to­ri­um. Sur le ter­rain de jeu, per­son­ne. Les Arabes sont en cham­bre. C’est qu’il pleut. Plus vite que d’or­di­naire, j’aligne les exer­ci­ces, squats, pom­pes, burpees, clinch, et bla et bla. De retour, trem­pé comme une soupe, je n’ai qu’un souci: “mais enfin quand pour­rons-nous décrocher de ce rocher?” Et se rejoin­dre. Non, je ne trépigne pas, mais je m’in­quiète: ne me faite pas croire que ce virus est san­i­taire. San­i­taire il était, poli­tique il devient. Il inocule l’impuissance.