Mouvement 2

Nous essayons de louer à la mon­tagne. Entre les Suiss­es pro­prié­taires et les Suiss­es locataires, de néfastes multi­na­tionales telles que airbnb; j’in­tro­duis avec agace­ment des codes, des mots de passe et des numéros de télé­phone sur la page inter­net, échoue et recom­mence. Quand les offres s’af­fichent, les prix sont aber­rants. Pre­mier réflexe: “ceux qui le peu­vent ont quit­té la ville! La mon­tagne est pleine!”. Enfin, je trou­ve un loge­ment qui paraît viable, sous les remonte-pentes (fer­més), dans un immeu­ble famil­ial, aux Portes-du soleil. Seule­ment, impos­si­ble de join­dre “Eric”, le type qui a son por­trait en médail­lon. On ne pose pas les ques­tions avant, mais après avoir payé; la multi­na­tionale débite votre compte, puis vous appelez Eric. Juste avant l’acte d’achat, je vois en out­re que des frais de ser­vices de l’or­dre de vingt pour cent s’a­joutent à la somme prin­ci­pale. Frus­trant! Total, pour 43 jours, plus de Fr. 4000.-. Deux semaines que je bivouaque dans mon mag­a­sin de meubles. Et les fron­tières de l’Es­pagne sont fer­mées. Songer que je vais demeur­er dans ma pous­sière jusqu’en mai ou juin m’in­quiète. Je me sou­viens alors de ce courtier au Sépey. Au début de l’an­née, il cher­chait à me ven­dre le chalet Mimosa à La Lécherette. J’ap­pelle l’a­gence. Elle a cessé toute activ­ité. Je trou­ve son numéro privé. Gala appelle. Il répond, c’est lui. “Pour demain? Non, désolé, je ne vois pas… D’ailleurs, nous ne faisons pas le court terme.” Ami­cal, il com­mu­nique le nom d’un con­cur­rent. Que Gala joint. Quelques min­utes plus tard, nous avons trois propo­si­tions sur la mes­sagerie. La voiture chargée (habits et jam­bon d’A­grabuey, affaires de course et man­u­scrits), nous mon­tons aux Moss­es. Gala a ses prob­lèmes d’équili­bre (infec­tion de l’or­eille interne). Je lui tiens la main pour sor­tir de la voiture, la fait tra­vers­er, lui ouvre la porte de l’a­gence, l’in­stalle sur une chaise en face d’une aimable vau­doise à lunettes qui aus­sitôt nous ramène, à tra­vers champs, sur un park­ing, nous embar­que dans un petit bus et roule jusqu’à l’im­meu­ble de vacances Sir­ius B. Au troisième étage de cette con­struc­tion des années pop (aci­er poli, verre fumé, géométrie à la Max Bill), un deux pièces et demi meublé pro­priété de juifs grecs. Arrivé dans le salon, je con­firme: “c’est d’ac­cord. Et pour pay­er?”. A l’a­gence, la fille sort une machine de la taille d’un paquet de cig­a­rettes, allume son portable, ouvre une appli­ca­tion:
-C’est nou­veau. Vous allez voir! Je peux?
Elle glisse ma carte sur le côté, La machine sif­flote. Et plante.
Heureuse­ment, j’ai Fr. 1700.- dans la poche. Ce qui est insuff­isant pour cou­vrir le loy­er, mais devrait la ras­sur­er. Or, au même moment, je tombe sur la pan­car­te: “Pas de liq­uide. Mer­ci.“
Cepen­dant la fille sec­oue paquet de cig­a­rettes et portable.
-Et si vous éteignez tout, puis ral­lumez?
Elle s’exé­cute. Sans résul­tat.
-Atten­dez, lui dis-je, et si j’al­lais à la poste?
Je véri­fie que Gala tient sur sa chaise et démarre la Dodge. Au guichet de poste, une cliente qui “a per­du son numéro de retrait, a besoin de la recom­mandé, n’est plus dans les délais, a oublié de rem­plir son porte-mon­naie , est embêtée, pressée et ne com­prend pas”. Vient mon tour.
-Je ne peux pas vir­er une somme dans ces con­di­tions, dit la postière.
-Non, bien sûr. Don­nez-moi un bul­letin et je le rem­pli­rai.
-Non.
-Com­ment?
-C’est eux qui doivent le rem­plir, l’a­gence. Ils sont au vil­lage, passez les voir.
-Mais j’en viens!
-Je n’y peux rien.
-Ce que je dis, c’est: je vais rem­plir un bul­letin de verse­ment.
-Il faut le faire à la machine. C’est le procédé nor­mal.
-Mais il n’est pas inter­dit de rem­plir au sty­lo?
-Ce n’est pas nor­mal.
-Mais est-ce inter­dit?
De retour à l’a­gence, la fille échange des recettes de cui­sine avec Gala.
-Désolé, dis-je, la postière est une idiote.
-Ah, oui, vous êtes tombés sur une dame blonde. Elle est spé­ciale. Je vais arranger ça.
Alors la fille, tou­jours aus­si aimable, rem­plit au sty­lo le bul­letin que j’amène ensuite à la dame spé­ciale laque­lle prend mes bil­lets, les lisse, les enfile dans un tiroir.
-En somme, vous préférez l’écri­t­ure de la fille de l’a­gence à la mienne?
-Je n’ai pas dit ça, mais il y a des règles.