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Arrière-bou­tique de Lau­sanne, ce matin, à six heures. La nuit est bleue. Déjà des voitures sur le boule­vard. Dans le train pour l’aéro­port, une vraie femme. En face de moi, une autre femme: ce qu’on a fait des femmes. La société? Les hommes? Le cap­i­tal­isme? Com­ment savoir? Je me con­cen­tre sur le vrai. Ma voi­sine de ban­quette, ses bras, fins, ses mains, longues. Pas jeune. Refaite, mais avec pré­cau­tions. Puis je vois qu’elle tra­vaille. Pré­pare des ren­dez-vous en anglais sur son ordi­na­teur. Mon plaisir est gâché. N’é­tais-ce le silence qui règne dans le wag­on je lui par­lerais volon­tiers. Mais com­ment adress­er des mots qui pré­par­ent à l’in­time à deux cent per­son­nes? Et l’autre voi­sine — je m’exé­cute, je par­le un peu de ce désas­tre — ser­rée dans des habits de fonc­tion, beau corps, joli vis­age, mais ce vis­age, fer­mé, nerveux, sans avenir. Mod­ule. A en juger par le bloc de papi­er sur lequel elle fait la liste des oblig­a­tions pro­fes­sion­nelles du jour, une employée de Price­wa­ter­house­C­oop­ers. Trente ans. Quelle tristesse! Pue après, avion pour Barcelone, rang du milieu. A droite, un noir mas­sif. Aimable, dis­cret. A gauche un type qui sue et se ronge. Partout des enfants. Les mères les maîtrisent avec un arse­nal de jou­ets: bananes, coussins, jeux vidéo, ardois­es, cartes, plots, voitures. Pen­dant le vol, jamais je n’en­tends dire “tu la ferme où je te flanque une baffe!”. Pau­vres par­ents, des clowns jar­diniers d’en­fants. je crois à l’amour comme aux baffes — envers et avers. Treize heures plus tard, je suis dans le bus, nous fran­chissons le som­met du col de Mon­re­pos en Aragón. Je plonge dans la désert. Le silence. Le blanc. Arrivé à Agrabuey, je trou­ve Oskar sur mon toit. Il vient de détru­ire ma chem­inée. Demain, il la recon­stru­ira avec des cail­loux légers déter­rés sur les berges de la rivière.