Oeuvrer

Je m’aperçois que je vais sor­tir du noir. J’y suis entré en 2015. Alors, j’é­tais à Fri­bourg. Ater­ré, je regar­dais ces nou­veaux venus, sous-infor­més, débar­qués par paque­ts des périphéries de l’Eu­rope, qui arpen­taient en som­nam­bules la ville. Fri­bourg, une ville par­mi cent, mille, une vilel quel­conque par­mi toutes celles que compte le vieux con­ti­nent, car toutes subis­saient le même sort de “sol­i­dar­ité”, c’est à dire d’esclavage nais­sant. Ater­ré, je pre­nais con­nais­sance des expli­ca­tion don­nées par les par­leurs autorisés, ces tis­sus de men­songe. Comme tout un cha­cun, je subis­sais l’avalanche des images manip­ulées et voy­ais s’in­staller, heure après heure, dans les esprits et dans les corps, la résig­na­tion, qui — nul ne me fera croire le con­traire — n’é­tait qu’une forme encore bég­nine de la mal­adie qui se déclenche dans le vivant lorsqu’il con­state que l’on détru­it son habi­tat, son plaisir, sa langue et son futur. Lorsqu’on détru­it la vie libérale, cul­tivée, mod­erne. Lorsqu’on le détru­it. Mais sen­tir n’est pas penser. Je voy­ais, mais je ne com­pre­nais pas. Quels intérêts ser­vait ce tra­vail général de sape? Com­mençait pour moi une péri­ode noire. Je dirais qu’elle vient de s’achev­er. Il me sem­ble com­pren­dre com­ment s’est organ­isé cette offen­sive con­tre la lib­erté, le plaisir, le futur. Notre futur. Le pourquoi de son organ­i­sa­tion gagne chaque jour en évi­dence. Quant aux respon­s­ables, soyons clair: il n’en exis­tent pas qui seraient faciles à désign­er, le cas échéant appréhendés, après quoi il suf­fi­rait de remet­tre, entre citoyens de bon aloi, les pen­d­ules à l’heure. Je ne crois pas en ce type d’hys­térie social­iste (on peut ordon­ner le réel sur plan, au besoin s’en remet­tre aux com­mis­saires du Peu­ple). Si je dis que je sors du noir, c’est que j’en­trevois assez les rela­tions objec­tives entre les per­son­nages qui ont présider et prési­dent à ce drame pour savoir com­ment pren­dre du recul, puis dégager, et ensuite — c’est le plus impor­tant — créer locale­ment, de mes mains, avec mes pro­pres moyens, dans un coin, une fab­rique de la lib­erté. Elle con­siste d’abord à déjouer au quo­ti­di­en, pour réori­en­ter l’ac­tion per­son­nelle, tous les pièges qu’aligne sans ver­gogne le dis­cours œcuménique des cap­i­tal­istes finis­sants (gou­verne­ment mon­di­al, égal­i­tarisme, droits de l’homme…), puis à fab­ri­quer du posi­tif, de l’heureux, du juste. Enfin, si tant est que la réal­ité ne me rat­trape pas, à ren­dre le mod­èle viral.