Apéritif à la Maison du peuple. Le bâtiment est des années 1960. La terrasse donne sur le carrefour. Le trafic est continu. A quelques centimètres des tables, déboulent de la piazza Michelangelo les bus, 36, 37 et 11. Ils roulent en direction de Sienne. La cuisine a son guichet ouvert. Deux pizzas grandes comme des lunes sont posées sur le comptoir du bar: les gens se servent. Gala commande un spritz, je me serre une Perroni dans le frigidaire. Nous voilà assis. En face, un bâtiment identique, celui-là résidentiel, construit par le même architecte. Balcon munis de tabliers de ciment. Un modèle proche du carton à chaussures. L’ensemble qui est sans charme évoque l’utopie moderniste de ces années-là. On avançait pas encore masqué. L’ambiance, à l’avenant; les clients du lieu sont aussi variés que simples. Adolescents, ouvriers qui sortent du chantier, une demi-grue, une famille du quartier (elle semble manger pour la première fois depuis le début du mois — les gosses dévorent la pizza gratuite). J’aime cet endroit. Gala: “ton côté prolétaire”. Une chose est sûre, ce mardi j’ai détesté Florence. Il fallait s’y rendre pour faire le service de la voiture. Ma voiture, grande. Trop grande pour Florence. De fait, toutes les voitures sont trop grandes pour Florence. Ville de pierre, rues d’art, boyaux, venelles, théâtre urbain, madones suspendues, la conduite met les nerfs à vif. Mais ce n ‘est pas cela. Ce sont les gens. Ils déambulent devant les vitrines des enseignes internationales, au pied des palais Renaissance, perdus dans leurs écrans, véritable marchandise circulante. Triste défilé dans une capitale qui est belle, qui pourrait être magnifique, si elle ne servait de parc d’attraction. La Maison du peuple, c’est tout le contraire: il ne s’y passe rien qui soit de commande. Les enfants mangent de la pizza parce qu’ils sont gourmands, les ouvriers boivent parce qu’ils sont fatigués, la grue fait le tapin parce qu’elle est une grue, le serveur plaisante parce que la soirée serait longue s’il tirait la tête. Et les prix à l’avenant, modestes, de sorte que nous avons là un bar où l’on peut boire plutôt qu’un bar où l’on vient pour poser — j’aime beaucoup.