Notes de voyage — 4

A belle cadence sur des routes planes pour une moyenne à vingt-cinq kilo­mètres heure. A l’ar­rivée de l’é­tape, Alcaraz, bourg mon­té sur un mont dont l’en­trée est mar­qué par une place de marché à colon­nades de la renais­sance et deux églis­es baro­ques lesquelles suff­isent à jus­ti­fi­er, si j’ai bien com­pris, le statut touris­tique du lieu, dans ce cas de mau­vaise influ­ence puisque dans le pre­mier hôtel où je réclame une cham­bre, alors qu’un gamin fait ses devoirs dans la salle à boire et que son papa se brosse les dents, celui-ci m’ap­prend que l’étab­lisse­ment est com­plet, “on attend un groupe”. La chance me sourit à la sec­onde ten­ta­tive (faute de quoi je remon­tais en selle). Une femme à l’al­lure paysanne, épaules larges et ron­des, men­ton avancé, dents de cheval, spon­tanée, souri­ante, heureuse, si récon­for­t­ante, m’emmène derechef vers une cham­bre famil­iale de trois lits munie d’un bal­con ouverte sur un jardin de palmiers en fleurs. Vêtu en clown, douché et las — 127 kilo­mètres — je vis­ite Alcaraz, ses devan­tures “à louer”, ses apparte­ments “à ven­dre”, ses bars (plus étrange) fer­més, au point que je dois pren­dre ren­seigne­ment pour trou­ver mes bières. C’est dans les étages d’un bâti­ment munic­i­pal adossé à la porte de ville. Alors que je remonte la rue prin­ci­pale, me dépassent des Hol­landais à vélos élec­triques. Ils vont à la queue leu leu. Le groupe. Qui fait penser à une grosse che­nille ou plutôt à l’un de ces drag­ons de papi­er que les Chi­nois font danser le jour du Nou­v­el-an. Exténués mais dignes, ces cyclistes titubent. Plus jeunes que moi, tous. Au bar, je reste deux heures seul client. Le serveur bal­aie, aspire, récure, pré­pare une salle en manger au pla­fond de voûte. Le soin qu’il apporte à ce tra­vail laisse à penser qu’il fait le ménage une fois par mois. Ou que des ban­quets ont lieu chaque soir. Lorsqu’il passe devant ma table, nous par­lons musique, car il dif­fuse une liste de titres de rock planant des années 1970, par lui choisie, tant de con­nais­sances étant en Espagne den­rée rare. Quant à savoir si quelqu’un est venu boire ou manger à la nuit, je l’ig­nore: mar­qué par l’ac­ci­dent de par­cours de la veille, je me suis couché après seule­ment deux litres d’Estrel­la Galicia.