A belle cadence sur des routes planes pour une moyenne à vingt-cinq kilomètres heure. A l’arrivée de l’étape, Alcaraz, bourg monté sur un mont dont l’entrée est marqué par une place de marché à colonnades de la renaissance et deux églises baroques lesquelles suffisent à justifier, si j’ai bien compris, le statut touristique du lieu, dans ce cas de mauvaise influence puisque dans le premier hôtel où je réclame une chambre, alors qu’un gamin fait ses devoirs dans la salle à boire et que son papa se brosse les dents, celui-ci m’apprend que l’établissement est complet, “on attend un groupe”. La chance me sourit à la seconde tentative (faute de quoi je remontais en selle). Une femme à l’allure paysanne, épaules larges et rondes, menton avancé, dents de cheval, spontanée, souriante, heureuse, si réconfortante, m’emmène derechef vers une chambre familiale de trois lits munie d’un balcon ouverte sur un jardin de palmiers en fleurs. Vêtu en clown, douché et las — 127 kilomètres — je visite Alcaraz, ses devantures “à louer”, ses appartements “à vendre”, ses bars (plus étrange) fermés, au point que je dois prendre renseignement pour trouver mes bières. C’est dans les étages d’un bâtiment municipal adossé à la porte de ville. Alors que je remonte la rue principale, me dépassent des Hollandais à vélos électriques. Ils vont à la queue leu leu. Le groupe. Qui fait penser à une grosse chenille ou plutôt à l’un de ces dragons de papier que les Chinois font danser le jour du Nouvel-an. Exténués mais dignes, ces cyclistes titubent. Plus jeunes que moi, tous. Au bar, je reste deux heures seul client. Le serveur balaie, aspire, récure, prépare une salle en manger au plafond de voûte. Le soin qu’il apporte à ce travail laisse à penser qu’il fait le ménage une fois par mois. Ou que des banquets ont lieu chaque soir. Lorsqu’il passe devant ma table, nous parlons musique, car il diffuse une liste de titres de rock planant des années 1970, par lui choisie, tant de connaissances étant en Espagne denrée rare. Quant à savoir si quelqu’un est venu boire ou manger à la nuit, je l’ignore: marqué par l’accident de parcours de la veille, je me suis couché après seulement deux litres d’Estrella Galicia.