Que l’on ne puisse s’extraire sans casse de la routine dans laquelle on de gré enfermé sa vie, je le conçois clairement. Vu à travers le prisme du quotidien, le monde devient moins effrayant; l’illusion de la maîtrise à un effet bien réel, qui est de rassurer. Peu enclin à travailler les répétitions, j’ai moi-même éprouvé de la difficulté à rompre avec le lieu de repère, les vivants connus, les activités choisies pour recomposer en toute liberté et selon l’aléa des déplacements. Au début, vers 2015, je m’en sortais mal. Je n’étais pas seulement isolé, j’étais seul et cela m’empêchait de bien jouir du monde tel qu’il est donné à l’homme seul: dans son entier. Cette réflexion, je l’avais ces derniers jours, sur mon vélo, comme je roulais dans la lumière et elle s’accompagnait d’une sentiment d’infinie satisfaction et surtout, de reconnaissance. Heureux d’avoir accédé, après quelques années d’une bataille à l’issue improbable, à ce que je recherchais peut-être de toute date, le rapport simple aux choses du monde, les bonnes comme les mauvaises, sans cette représentation abusive qu’en fait la société pour protéger contre eux-mêmes ceux qu’elle juge faibles (et qui peut-être ne le sont pas). Dans le même temps, je voyais mieux pourquoi certains amis, personnalités solides mais engoncées dans un réel de routine, au moment où le destin de la famille est assuré et l’âge va les rejoindre, tremblent à l’idée de se retirer du jeu. C’est qu’ils craignent, dans la longue transformation qu’ils ont fait subir à leur vie, d’avoir perdu le monde. Alors que des parents, ascendant ou descendants, fustigent ma fuite ou mon irresponsabilité, ou pour les plus fâchés mon refus du compromis, certes je plains ceux qui auront eu à en souffrir, mais qu’ils sachent combien, par ailleurs, je me félicite de ce monde retrouvé.