La glace piquée à la bêche, je ramasse, je jette. Juan prend ma pelle. La met à plat, lit l’étiquette.
-Allemande.
Il grommelle. Retentit le Klaxon du poissonnier Oscar. Cabas en main, je descends. Sur la place se déroule une corvée. On s’affaire pour lever la neige tassée sur le pavé. Maria qui achète une seiche me dit : “Juan est mort”. Je fais mes doléances. Elle m’explique qui est Juan. “Il y aura beaucoup de monde!” Quand mon tour vient chez l’épicier ambulant, je prends une tomate, douze œufs et une morue. Je propose mon aide sur la place. Non, ils sont déjà six, le convoi passera. A la mairie, je trouve la secrétaire (elle a beau dire “ce n’est pas moi la secrétaire”, lorsque j’entre dans le bureau, c’est elle que je trouve assise devant les dossiers).
-Pour ma place de stationnement dans le hangar?
-Eh bien…
Demande déposée en décembre, avancement de la question: nulle. Voilà le maire.
-Tiens Alexandre!
-Ta place! Pas de problème, me fait-il, elle est libre, prend-là. Tiens, va voir Lara, elle balaie.
De retour sur la place, Lara, la femme du maire:
-Oui, rentre-là!
Ma voiture.
-Il y a une clef?
-On ne s’en sert pas.
Je rapporte mes légumes et mon poisson à la maison, je reprends la pelle. Car il vient de me revenir que j’attends Bustos, le sans-cou marchand de bois.
-Là, enlève encore ce morceau, fait mon voisin, le paysan, comme ça le camion pourra reculer !
“A quinze heures, demande le marchand?” au téléphone.
“Plutôt à seize?”.
“Comme vous voulez!”.
Quinze heures passé de quelques minutes, Bustos:
-Mm! Suis un peu en avance.
Il décharge mille kilos de mélange sur le pavé. Hêtre et chêne. Le paysan apparaît en chemise. Il récupère sa fourche:
-Excuse de ne pas t’aider!
Il sent l’eau de Cologne. L’heure de se rendre au tanatorium avec les villageois.
Le lendemain matin, comme je me réveille, l’enterrement défile dans la rue. Un boc de café sur la table, je suis en train de conclure avec un certaine Lucy Sarah (un pseudonyme pour touristes) un camp d’entraînement à Petchabun, province de Petchabun, Thaïlande du Nord. Elle raccroche. Je réserve un vol par Helsinki. Le mort passe. Souvenir d’une toile de Dürenmatt. En redingotes noires, visages émaciés et livides, les accompagnants. L’horizon est blafard, le cercueil pointu, sur les épaules. Peinture expressionniste. De profil derrière mon mur de pierre, je me dis: “tu es entre les planches, on te monte, on va t’enfermer dans le mur du Colombarium (l’église perche au-dessus de ma maison), tu quittes ce monde, il fait noir, et il y a là, du café à la main, un jeune gars, il réserve des vacances, il achète un billet d’avion “.