Fondue

En novem­bre, j’annonce que je ferai une fon­due. Les Espag­nols se réjouis­sent. L’un des cou­ples est aux Canaries, lui ani­me un camp de jeunes, elle fait du yoga ; l’autre cou­ple, la fille qui est géo­logue, est à Hous­ton pour une recherche, lui est là, à deux mètres de ma porte de mai­son, guide de mon­tagne il attend la neige pour emmen­er des groupes en alti­tude. Nous trou­vons une date. Bien. Organ­isons. Aplo ren­tre en Suisse puis revient pour Noël: il apportera le fro­mage. Mal­gré une valise de vingt-trois kilos que je fais met­tre en soute pour trans­porter ses habits, Gala ne peut pas, ne veut pas, trop lourd, et puis « elle n’a pas que ça à faire ». Pour le réchaud, j’ai pris les devants. Au mois d’octobre, Mamère en a tiré un de son buf­fet. Je l’ai chargé dans la jeep, il est ici, au vil­lage. Pour ce qui est du caque­lon acheté il y a vingt ans au marché aux puces de Plain­palais, il a dis­paru. J’achète donc un mod­èle orange en fonte au super­marché – chi­nois – avant de ren­tr­er en Espagne. A l’arrivée, je le pose sur le réchaud. Trop lourd, trop large, il penche, bas­cule, se ramasse. Au troisième essai, furieux, je redresse le réchaud à coup de pieds. Qui se tord et passe à la poubelle. J’appelle Mon­père. Il est à Budapest. Quand il passera au garde-meu­ble de Mon­treux, peut-il ouvrir quelques car­tons ? Un mois plus tard, bonne nou­velle, réchaud et caque­lon sont retrou­vés. Ma fille prend le train pour Lau­sanne, voit Mon­père, obtient le réchaud, le range dans sa valise de cab­ine. Noël, j’étale le matériel sur la table. Tout y est. Alors je tra­verse la rue, frappe à la porte et con­firme l’invitation. Par­fait, mais il faut reporter car l’animateur pro­longe son séjour aux Canaries. Puis avancer car la géo­logue repart pour le Texas. La veille de la fon­due, comme je sors les bouteilles de blanc valaisan (venues en voiture) et véri­fie le kirsch (acheté au tax-free par Aplo), je vois qu’il manque la cap­sule de gel alcoolisé qui four­nit la flamme du réchaud. Je saute en voiture, descend à la ville. Au super­marché, la vendeuse fait une annonce dans son micro. Arrive le gérant. Il tape sur un ordi­na­teur, regrette : « nous n’avons pas cet arti­cle. » Chez le Chi­nois, j’achète de l’alcool de cui­sine. Au jardin, je fais mon expéri­ence. L’alcool seul, ça ne brûle pas. Je tasse de la paille de fer dans le récip­i­ent. Cette fois, ça fonc­tionne, mais la flamme est frag­ile. Il fau­dra sans cesse ral­lumer. Dans les affaires de toi­lettes de Gala je décou­vre des ron­delles de ouate « con­tour des yeux ». J’imbibe, je tasse, j’allume. Rien. Il me revient que je pos­sède des réchauds de bivouac. Guêtres, tentes de camp­ing, embas­es, cordes, sar­dines, à force de déballer je mets la main sur un réchaud de survie à car­touche. Avar­ié. Il y en a un autre. De luxe. Mod­èle tur­bo acquis pour l’écriture d’Acablar, trois semaines sur un alpage de l’Oberland. Il prend. Belle flamme. Mais pour ce qui est de pos­er le caque­lon chi­nois, c’est de la folie. Sans par­ler que nous serons six à plonger nos fourchettes ! Au bar, je trou­ve la femme du maire et ses deux filles. Non, elle n’a pas de réchaud. Et une plaque élec­trique de chantier ? Non. Un autre voisin : « il y aurait bien Jorge, mais son réchaud est un mod­èle pour enfant… un jou­et ». Je dis le poids de mon caque­lon, sans compter le kilo et demi de mélange. Retour chez mes amis. Sur le point de renon­cer, ils s’avisent qu’ils pos­sè­dent une plaque de chauffe à gaz. « Seule­ment, pré­cise la géo­logue, la recharge de gaz est d’un for­mat spé­cial et nous sommes dimanche ». Elle monte en voiture, se rend à la sta­tion de ski. Deux heures plus tard, elle est de retour, bre­douille. Le lende­main, Gala appelle la Fer­mière du boule­vard Grancy et demande si elle peut con­gel­er le fro­mage. Puis, au sujet des cap­sules: « A Mala­ga, ils doivent avoir ça ! ».