Jean, concentré, intelligent, fatigué. Visage sec, les yeux vifs. Nous prenons une bière à Genève. La discussion va à l’essentiel. Sentiment heureux : chaque moment de l’échange est profit. Dans la rue, derrière la vitre, passent les trams chargés des travailleurs du soir. Instantanés de l’esclavage. Sur le trottoir se hâtent des piétons venus des quatre coins de la planète. Vision épouvantable. De dépossession. Fin de la culture, fin du savoir-vivre, début de l’assemblage technique, début de la massification. Je me raccroche à la conversation. Elle est passionnante car précise; lectures, théories, citations. Jean explique le rapport entre l’extrême-droite brésilienne, l’évangélisme et le sionisme loubavitch. Les images de la ville s’effacent.
-Moi, dit Jean, je ne supporte plus.
Il vit dans la montagne, retiré, il tutoie le silence.
-D’ailleurs ici, même dans l’appartement, ce n’est plus possible. Un nouveau locataire à emménagé à l’étage. Il a installé une lessiveuse. L’a enclenchée. Est sorti. Le lendemain, tout l’immeuble était inondé. Six mois de travaux. Maintenant, il a deux gosses. La famille hurle. Il y aurait la solution de fixer un haut-parleur sous son plancher, de passer du Schönberg.
-Ou le poème électronique de Varèse.
-Ou de monter avec un flingue.