A nouveau deux jours sans croiser un vivant. Quand passe la paysan devant ma porte j’ouvre.
-Je vais faire un sudoku avec les poulets, me dit-il.
-Attends!
J’attrape mon litre de bière, je le suis. Nous allons dans son potager. Il me montre ses tomates. Elle sont grosses, elles sont vertes. Comme je lui dis mon intérêt pour les concombres, il me ramène dans son garde-manger, m’en donne deux. Rasséréné, je reviens à mon ordinateur qui affiche un combat de la chaîne Bellator-MMA.
Mois : août 2018
Routine
Etat des rues
Violence, rage — sans rapport. L’une non-dirigée, physique; l’autre informée, spirituelle. L’une abstraite: à défaut de cible orientable par quelque cynique; l’autre sachant ce qu’elle veut atteindre: détruire qui auparavant à cherché à la détruire, et ainsi force de justice humaine. Ce que nous avons, dans nos rues, dans l’Etat, aujourd’hui, surtout dans l’Etat — les rues n’étant que le côté cours de ces coulisses qui permutent leurs messages via une scène — c’est de la violence. Bruit distribué, fatigue, désorientation, chimie, usure mentale. De rage aucune, pas de rage, donc nul retour rapide à une situation humaine.
Eminence
Les intellectuels pensent un espace de possibilités où ils voudraient expatrier leur corps pour qu’il vécût à la mesure de l’esprit. Certainement, si cela arrivait, chercheraient-ils une autre expatriation. Tel est leur orgueil, dessiner l’inexistant. Mais ce qui n’existe pas, présenté, excite le commun. D’où leur rôle dans l’histoire: éminent.
Personne
Denis de Rougemont, que l’on donne pour l’un des fondateurs de l’Europe abstraite qui siège à Bruxelles est son plus grand détracteur. Evoquant le groupe personnaliste des années 1930: “Nous avons dénoncé cette nouvelle tyrannie moderne qui consiste dans le fait que nos sociétés sont dirigées par l’Etat, c’est à dire par des corps de fonctionnaires qui se sont emparés de l’ensemble des activités de la nation, privant les hommes de leurs responsabilités en leur donnant le sentiment qu’ils ne sont pas responsables.” Entretien donné à la Télévision suisse italienne.
Société
A‑t-on une société aujourd’hui? Semble-t-il, personne n’en doute. Si, moi. Car telle n’est pas mon idée de la société. Je veux dire: ce que nous avons, n’est pas l’idée que je me fais d’une société. Le principe machinique régissant ce conglomérat d’individus dont nous sommes les éléments n’est pas ce que j’apelle une société. J’y pensais une fois encore ce soir. Alors me vint l’idée que c’était un problème de langue: notre langue est trop complexe. Elle ne permet plus de construire une morale, c’est à dire des relations de bon sens. Elle est, désormais, en chacun d’entre nous, le lieu de formation d’un sens qui ne peut pas faire société.
Vikings
A l’instant, j’écoutais “All shall fall” de Immortal, du dark metal norvégien. Grimés, cuirassés, cheveux qui pendent, dans la vidéo les musiciens sont installés sur un glacier et invoquent les forces d’ Odin. Or, il m’est revenu que, de retour du Chiapas en 2004, comme je patientais dans une salle d’attente de l’aéroport Benito Juarez de Mexico, ils étaient là, avec leurs coffres à instruments, leurs costumes, de bon matin et, en effet, à cette heure peu héroïque, les cheveux étaient longs, les torses musculeux et il y avait, dans chacune des mains de ces rejetons vikings, une canette de bière.