Ce troisième jour, le rythme est trouvé. Selon les dénivelés, je prends la route à 8 ou 9 heures puis roule une centaine de kilomètres, après quoi je mange un menu de trois plats accompagnés de vin et de limonade. Je finis par un café et remonte aussitôt sur le vélo pour finir l’étape. Mais aujourd’hui trois imprévus m’ont ralenti. La pluie d’abord. Espagnole donc légère et sous forme d’averses, mais justement, il faut s’arrêter, passer l’imperméable, puis quand le ciel se dégage remiser l’inperméable car pédaler couvert est suffoquant. Ensuite, le compteur. Il est plus juste de dire ordinateur, car il fait tout, il me donne même la position géographique, mais vu la taille de l’écran des connaissances kabbalistiques s’imposent pour bien utiliser cette fonction, aussi me suis-je trouvé dans une impasse (la route s’interrompait dans un village d’altitude) obligé pour rejoindre l’itinéraire de marcher cinq kilomètres sur un sentier caillouteux, le long d’une rivière, en sabots chinois, le vélo sur le dos. Contre le soir, en vue de Calatayud, seconde erreur, je roule 16 kilomètres en trop. Une patrouille de la garde civile me renseigne. Comme je suis un type entêté, je ne fais qu’à moitié confiance. D’ailleurs ces militaires n’échappent pas à la règle: ils cherchent la solution sur Google maps. Tout de même, je fais comme ils disent, demi-tour puis la vallée qui commence à Sabiñan où le directeur d’une entreprise de pressage des olives me dit: “réjouis-toi, tu vas faire la plus belle route du monde!” Je m’en réjouirais si je n’avais pas déjà 130 kilomètres dans les jambes, mais vu la beauté du défilé dans lequel je m’engage, j’ai vite fait d’oublier: un spectacle de canyons, de prés fleuris; des ruisseaux, une série de cols creusés dans la pierre et une ancienne voie de chemin de fer sur ponts de bois. Bref, une nature primitive, légendaire, magique. Laquelle débouche sur les ramblas de Calatayud, ville que j’ai décidé d’éviter suite à notre expérience malheureuse de l’an dernier avec Gala (chef-lieu agricole drainant des populations d’ouvriers roumains et marocains). J’avise un vieillard, tout à fait local celui-là, un de ces Don quelque chose dont l’activité principale ‑du moins au XXème siècle- consistait à faire des commentaires sur le monde et à dépenser ses rentes en sirotant du cognac, lequel avec beaucoup d’importance, alors que je suis affublé tel Froome dans l’ascension du Tourmalet:
-Ateca? Vous y allez en voiture ou à vélo?
Vingt kilomètres de plus, j’atteins enfin le Bodegon, un bar logé dans une cave du quartier des piscines d’Ateca (population, deux mille âmes les bons jours) où un gentil et gros garçon sert à boire à des fermiers qui parlent tracteur. Il me monte dans un appartement qui donne sur une cour où étudie un Monsieur (je le note car de voir des livres et une organisation du travail intellectuel dans un endroit pareil est surprenant, plus que cela, mystérieux) puis me cuit des pâtes.