Grenelle

Dimanche, je quitte l’ar­rière-bou­tique, je monte dans le train, je suis à Paris. A la Goutte d’or, Gérard tou­jours aus­si aimable me tend la clef de l’ap­parte­ment com­mu­ni­quant, celui des vis­ites et me répète le rit­uel: “voici la ser­rure, ceci est votre porte, ici c’est la mienne, vous faites comme chez vous”. La nuit tombe lorsque nous sor­tons. L’air est chaud et humide, les rues plus calmes qu’à l’habi­tude. Nous allons dans ce bar à vins, pâtés et saucis­sons autre­fois tenu par Mouloud et que le nou­veau patron, Yas­sine, à trans­for­mé en restau­rant de tapas. Sur la ter­rasse, les mêmes clients que l’an dernier et l’an précé­dent, amis de Gérard. L’ou­vreuse de ciné­ma, l’in­tel­lectuel mar­ié à une fille de Léon et une déco­ra­trice marchande de couleurs biologiques — comme elle s’é­tait arrêtée à l’au­tomne dernier, la dis­cus­sion reprend. Sauf que je suis anx­ieux. Le stage de com­bat débute le lende­main, au matin et par­courant la carte je n’y trou­ve pas ce qu’il faudrait, des pâtes, du riz, des patates. Puis je me promet­tais d’é­conomiser la bière. Quelques min­utes plus tard, j’en suis au deux­ième litre. Arrive une salade de pieu­vre à l’ail. Le genre de plat à éviter. La bouche sèche, je m’en­dors pour me réveiller bien­tôt et boire, et boire encore, et ain­si, toute la nuit. Avant que  ne reten­tisse la son­ner­ie du télé­phone, je suis sur pieds. A huit heures, je charge mon bar­da et attrape sur les con­seils de Gérard un métro à Mar­cadet-Pois­son­niers. Le dojo est dans le XVème. En per­spec­tive, la par­tie supérieure de la tour Eif­fel. Sur les bancs, je suis seul, équipé de ma coque et des jam­bières, laçant les chaus­sures, véri­fi­ant la tenue. Peu avant l’heure, entre dans le ves­ti­aire un jeune au crâne rasé que l’on ver­rait volon­tiers sur une pochette d’al­bum Oï. A y regarder de plus près, il pour­rait aus­si jouer un rôle mutant dans un film de sci­ence-fic­tion. Il est polici­er — nous sym­pa­thisons. Main­tenant, il est dix heures. Dans la salle, autour d’Alain For­mag­gio, un homme en béquilles, un gar­di­en de prison et un mon­sieur chenu à bar­bi­chette qui se présente: il est skip­per et a été mal reçu dans le port de Mala­ga, ville où je lui dis habiter. L’in­struc­teur en chef ayant fini l’an­nonce du pro­gramme, il présente ses assis­tants. Le blessé est qua­trième dan, le skip­per cein­ture noire. Pre­mier com­bat, le jeune polici­er mar­tien me soulève. Je tombe de haut, sur l’oreille.