Yuma

Nou­velle tra­ver­sée de l’Es­pagne, cette fois sous un déluge. Les bour­rasques malmè­nent la voiture, les essuie-glaces peinent à évac­uer l’eau. Même les déserts sont tristes. Sur fond gris, les oliviers ressem­blent à des coches d’en­cre. A par­tir du deux-cen­tième kilo­mètres, je suis atten­tif: je cherche Yuma, le restau­rant des camion­neurs. Il n’y a pas de repères. D’abord parce que les haltes le long de l’au­toroute sont toutes sig­nalées par le même pan­neau lequel ne com­porte pas le nom du lieu, ensuite parce que Yuma n’est pas cou­plé avec une ville ou un vil­lage, c’est un ensem­ble hétéro­clite de bâti­ments posé sur un ter­rain vague. D’ailleurs, comme je descendais en Andalousie en jan­vi­er, je l’ai man­qué. Plutôt, je ne l’ai pas vu. Et là, mir­a­cle, je le vois — trop tard, mais très vite, un change­ment de direc­tion me per­met de revenir sur mes pas. Mal­gré la pluie bat­tante, il y a tant de camions et de voitures devant le restau­rant que je ne trou­ve pas à me gar­er. Il faut imag­in­er un bâti­ment en briques rouges de qua­tre étages, long comme une ter­rain de foot­ball, entouré de boues. Je pose la voiture de l’autre côté de la voie de ser­vice, cours sous mon para­pluie, prend place dans la salle à boire (il y a aus­si une salle à manger et un hôtel).
-Alors, mon chou, qu’est-ce qu’on boit?
Les ouvri­ers du coin et les chauf­feurs de long cours man­gent en soli­taire à de petites tables de bois, tournés dans la direc­tion du téléviseur qui fait son sujet sur les clowner­ies des Cata­lans. Et je me régale d’une potée de légumes suiv­ie de racks de porc braisés au four. Avec la mouse au choco­lat mai­son, le vin et le café, dix francs. Avant de par­tir, je plie une servi­ette dans ma poche. Il y est inscrit: Yuma, mai­son du camion­neur, km.128.