Entraîné par Evola dans les appartements de S. à Lausanne. Se tient là une réunion du comité d’initiative Monnaie pleine. Le projet soumis au vote porte sur l’interdiction faite aux banques privées de fabriquer de la monnaie. Nous sommes six à discuter autour d’une table ovale chargée de documents, de chandeliers, de crucifix, de saucisson et de fromage. Les parois sont chargées de livres. Chaque étagère comporte une étiquette indiquant le thème de l’étagère mais mon sentiment est que les livres sont mélangés, que le système est dépassé, que les volumes ont voyagé.
-Posez-moi des questions, nous enjoint l’hôte.
Car le sujet est technique. Si je comprends bien, l’un des buts de la réunion est de se mettre d’accord sur la communication. En d’autres termes, comment expliquer les enjeux aux votants. Ici le bât blesse. Ce dont les premières réponses données aux participants témoigne assez: ils posent d’autres questions, croient avoir compris, n’ont pas compris… Pour moi, je n’en mène pas large (et cependant, il y a quelques années, j’ai lu et visionner des documentaires sur le sujet). S. cet homme enthousiaste qui a fait une prière avant de s’asseoir a‑t-il pris la mesure des forces qui défendent le status quo? Certes — mais, parce que ce type de militantisme suppose de la foi, n’est-il pas égaré par celle-ci? Pour avoir une chance de vaincre la coalition des intérêts au pouvoir, il faudrait jeter dans les batailles des moyens colossaux. Pour l’instant, je ne vois que six personnes qui confectionnent d’aimables sandwichs. Un couple, lui comme elle affichant la maigreur des figures d’El Greco. Ils représentent les SEL du Nord-vaudois et distribuent de petites bouteilles qui contiennent de l’eau de bouleau. A part Evola et moi, un ancien journaliste, un militant national et un mathématicien. Les autres, là-bas, partout, à travers le monde, appartenant à la même troupe armée en costumes, devant leurs ordinateurs, calculent les risques de contagion d’une telle initiative lancée par des “fouilles-merde”… Ou plutôt, ils se disent rassurés. En effet, un jeune conseiller vient de rendre son verdict : “ne vous inquiétez pas, personne ne comprend ce que nous faisons donc le peuple nous fait confiance”. La réunion se poursuit. J’écoute. Je grignote. Je bois. Participe tant bien que mal. Au fond, je suis désolé: la bonne volonté et son organisation démocratique ne peuvent plus rien pour défaire les monstres auxquels notre société s’est livrée.