Voilà trente ans que nous négocions au quotidien, dans nos foyers, avec les machines intelligentes. J’aurais pensé que l’augmentation concomitante de notre part non-humaine aurait facilité l’écoute de cette musique de destruction que fut le minimalisme. A l’ouverture du carton des CDs stockés depuis quelques années en garde-meuble, je m’aperçois qu’il n’en est rien. Si j’usais à l’époque des symphonies répétitives de John Adams ou des architectures en couches de Steve Reich dans un but hypnotique, le soir surtout, lorsque je dessinais, j’aurai cru prendre aujourd’hui, avec l’adoption générale par les fabricants de son du schéma itératif, un plaisir renouvelé à l’écoute de ces compositeurs. Du carton, j’extrait Drumming de Reich. C’est inécoutable. Mais aussi, irritant et vain. Pourtant notre cerveau, alors mal adapté à cette simplification à laquelle les pionniers soumettaient la partition, est désormais conforme: les stars de la radio ne produisent-elles pas toutes dans le registre automatique de la musique pour fitness? Il est vrai que les minimalistes cherchaient à détruire la musique et y parvenaient, tandis que les pops-stars essaient de faire de la musique sans y parvenir. C’est là qu’il faut voir une filiation. De même qu’un Foucault entouré de sujets de chair et d’os, à Paris, semblait fou quand il défendait la fin du sujet, les maîtres minimalistes, héritiers de la tradition classique, en Angleterre ou aux Etats-Unis, semblaient fous. En deux générations, ils sont devenus la norme (Varèse ou Pierre Schaeffer, paradoxalement, ont fini sur une voie de garage: ils ne parlaient pas le langage des machines, ils s’adressaient à elles en tant qu’êtres humains). Il existe une écologie des idées dont le système est proche du système de la nature. De même que la glaciation en Antarctique enfonce dans les abysses une eau saturée qui, après un long temps, contribue au refroidissement de notre océan, certaines idées circulent dans l’inconscient collectif avant d’émerger et de s’imposer. A preuve cette philosophie de l’indifférenciation promue dans les années 1970 sur la base, me semble-t-il, d’une simple révolte de potaches par des Baudrillard, Lacan ou Derrida, aujourd’hui devenue le faire-valoir d’un capitalisme des unités économiques en lieu et place du sujet vivant et personnel.